L'heure au Japon

Parution dans le n°115 (novembre 2021)

29 juin 1966. Panneau de la police d’Akasaka, à proximité de l’hôtel des Beatles, demandant aux fans du groupe de ne pas se rassembler et de rentrer chez eux. / Asahi Shimbun L’unique tournée du groupe de Liverpool au Japon fut à la fois un casse-tête et un moment historique. Plus de 50 ans après leur séparation, les Beatles restent l’un des groupes les plus populaires de tous les temps, et le Japon est l’un des pays au monde où l’on rencontre le plus grand nombre de fans. L’histoire d’amour entre les Japonais et les Fab Four a atteint son apogée il y a 55 ans, à l’été 1966, lorsque le groupe a donné une série de cinq concerts à Tôkyô au cours de ce qui allait devenir sa toute dernière tournée.Les premiers disques du groupe sont sortis au Japon en 1964, et en 1965, alors qu’ils étaient déjà largement connus dans le pays. Au début, les quatre garçons originaires de Liverpool débraillés étaient principalement considérés par les Japonais comme des idoles. D’ailleurs, leur album Help ! était sorti dans l’Archipel sous le titre Yonin wa aidoru, autrement dit “Les quatre sont des idoles”. En d’autres termes, leur image et leur personnalité étaient considérées comme la principale raison de leur succès. Certains médias n’ont d’ailleurs pas manqué d’associer le look et la musique du groupe à une augmentation des comportements antisociaux dans la société japonaise.En 1966, le groupe n’était guère enthousiaste à entreprendre une nouvelle tournée mais il restait des endroits sur Terre qu’ils souhaitaient visiter. Depuis quelque temps, John Lennon et George Harrison entretenaient un certain intérêt pour les cultures et les religions asiatiques. Ils considéraient notamment le Japon industrialisé comme une destination hybride intéressante, quelque part entre le monde oriental et occidental. Quant à leur manager, Brian Epstein, il voyait le Japon comme un marché prometteur. A l’époque, il représentait le septième marché pour le groupe en termes de ventes de disques et possédait un véritable potentiel.Mais plus qu’Epstein, les deux hommes qui ont rendu la tournée japonaise possible furent Victor Lewis et Nagashima Tatsuji. Le premier, agent théâtral et responsable de la billetterie, était considéré dans l’entourage du groupe comme quelqu’un digne de confiance. Le second, président d’une société de billetterie, avait passé la majeure partie de son enfance à New York et à Londres. Il parlait donc couramment anglais et était familier de la musique anglaise et américaine. Il gérait des chanteurs locaux et faisait venir des artistes étrangers au Japon depuis plusieurs années.Lewis prit contact avec Nagashima pour la première fois le 18 mars 1966. Il l’informa que les Beatles voulaient venir au Japon. Le Japonais était inquiet car les Beatles étaient extrêmement chers, mais le Britannique lui assura que le groupe ne lui ferait pas perdre d’argent.Le 22 mars, Nagashima se rendit à Londres et à New York pour discuter avec Epstein du cachet, du lieu et du prix des billets, et le contrat fut signé le 26 avril. Bien qu’il pensait que les fans de la première heure seraient prêts à payer jusqu’à 10 000 yens pour les meilleures places, il fut décidé de les offrir au tarif moins élevé de 2 100 yens, ce qui correspondait au prix d’un album. Les autres places seraient vendues respectivement à 1 800 et 1 500 yens. Les précieux sésames qui ont permis à près de 50 000 fans du groupe d’assister à l’un de leurs cinq concerts. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon A l’exception du Yomiuri Shimbun, le principal quotidien japonais et premier sponsor de la tournée, la plupart des médias grand public manifestèrent leur hostilité à la venue du groupe avec une frénésie de titres outranciers tels que Go hômu bîtoruzu (Beatles, rentrez chez vous !), Kutabare bîtoruzu ! (Qu’ils crèvent !) ou encore Bîtoruzu nanka koroshichae ! (Tuez-les !). Certains commentateurs de la télévision les qualifièrent de “merdiques” et estimèrent que “la danse des singes au son des guitares électriques est une entrave au progrès humain”. Le Yomiuri Shimbun répondit à ces attaques en louant les qualités musicales du groupe et en soulignant qu’en 1965, la reine leur avait décerné le MBE (Members of the British Empire) pour leur contribution aux arts.Au moment où le groupe s’envola pour le Japon, la Beatlemania, traduit en japonais par bîtoruzu kyôjidai ou “époque de la folie des Beatles”, battait son plein. De nombreux fans voulaient les voir en concert, mais des règles sociales rigides imposaient des limites quant au moment et à la manière dont les adolescents pouvaient assister à un concert. De nombreux lycéens par exemple (surtout des filles) ne pouvaient y aller que s’ils étaient accompagnés d’un adulte, tandis que dans certaines villes, les écoles avaient des règles strictes concernant les activités extrascolaires et interdisaient aux élèves d’y...

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