
A Oguni, au nord de Fukushima, dans la zone touchée par le nuage radioactif, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Nous avons acheté notre maison, il y a trois ans, à Oguni, parce que nous voulions élever nos enfants tranquillement, au contact de la nature. Nous venions enfin d’acquérir notre habitat idéal, mais…”. C’est ainsi que Misawa Saki*, mère de famille de quarante ans, a commencé à parler. Oguni est un quartier de l’arrondissement de Date, se trouvant tout au sud de ce dernier, dans la commune de Ryôzen [à environ 50 km de la centrale accidentée Dai-ichi]. Il n’est séparé du village d’Iitate que par une montagne. Le 15 mars 2011, Oguni a été considérablement contaminé par la radioactivité tout comme Iitate, cependant à la différence de ce dernier, il n’a pas été inclus dans la “zone d’évacuation programmée”, mais a été désigné comme “zones où certains foyers ont reçu la recommandation d’évacuer”. Ces “foyers qui ont reçu la recommandation d’évacuer” (FRE) correspondent aux logements où le niveau de radioactivité annuelle a été estimé à plus de 20 millisieverts (mSv/an). Il est recommandé d’évacuer les femmes enceintes et les enfants. A noter que l’évacuation n’y est pas obligatoire, mais seulement recommandée. Au total, 282 foyers ont été classés comme tels, dont 128 dans tout l’arrondissement de Date, et les autres dans la ville de Minami Sôma et le village de Kawauchi à partir de juin 2011. Les habitants des logements qui n’ont pas été désignés doivent se résigner à vivre là où la radioactivité dépasse probablement les 20 mSv/an. Ils peuvent aussi partir, mais par leurs propres moyens. C’est environ deux mois après l’accident nucléaire que Mme Misawa a pris conscience du danger de continuer à vivre à Oguni. “Fin mai 2011, j’ai mesuré pour la première fois la radioactivité dans ma maison. On a relevé 1,5 microsievert par heure (µSv/h) à l’intérieur des pièces, 2,8 µSv au plafond et 5,5 µSv sur le dos du chien. La contamination réelle était bien plus grave que ce que j’imaginais”, raconte-t-elle. Avec son mari qui travaille dans le bâtiment, ils se sont résolus à faire leurs valises, estimant qu’il leur était impossible d’élever leurs enfants dans un tel environnement. La maison des Misawa ayant été désignée comme foyer FRE, les cinq membres de la famille incluant des enfants de 9, 6 et 5 ans ont quitté Oguni pour le quartier de Yanagawa situé dans l’extrême nord de l’arrondissement de Date, à 60 km de la centrale. Mais même après leur évacuation, c’est à Oguni que les enfants passent la plupart de leur temps ; le fils aîné est toujours scolarisé à l’école primaire d’Oguni. Tous les matins, un taxi mis à disposition par la municipalité vient le chercher, et il doit compter environ une demi-heure de trajet. “L’école primaire d’Oguni ne compte qu’une cinquantaine d’élèves. Je leur ai demandé que l’école soit elle-même déplacée ailleurs, ou que au moins tous les enfants soient considérés comme faisant partie des FRE, mais ils ont refusé…,” soupire Mme Misawa. Parmi les 57 élèves de l’école, seuls 20 d’entre eux ont pu être évacuer car ils venaient de foyers FRE. Les enfants dont la famille est restée à Oguni doivent prendre un bus scolaire car la radioactivité est trop élevée sur le trajet de l’école. En avril 2011, l’établissement a pris des mesures de décontamination, mais fin août 2012, la municipalité y relevait toujours 8,96 µSv/h à 1cm du sol autour de la piscine et 2,17 µSv à 50 cm du sol. Dans les endroits bordant la rivière voisine, on mesurait 14,5 µSv à 1 cm du sol et 7,18 µSv à 50 cm du sol. Il existe ainsi toujours des “points chauds” très contaminés. En posant un compteur Geiger sur le sol à côté du canal d’évacuation de la piscine, de l’autre côté de la grille qui délimite le site de l’établissement, l’on y mesurait même 84 µSv en décembre 2012. Cela n’empêche pas Hanzawa Takahiro, le directeur adjoint de la cellule de lutte contre la radioactivité d’Oguni, d’affirmer qu’“il n’y a aucun danger pour les enfants”. “Il n’arrive jamais que les enfants restent une heure assis dans ce genre d’endroit où l’on mesure 84 µSv par heure. Si on s’en éloigne, la radioactivité baisse. L’école d’Oguni est très bien décontaminée”, poursuit-il. Même si la cour de récréation a été décontaminée, les montagnes environnantes et les routes du quartier sont toujours contaminées, et le césium radioactif peut être disséminé. “Les éléments radioactifs ne se déplacent pas. Ils ne sont pas transportés par le vent, et ne se dispersent pas dans l’air. Si c’était le cas, cela bouleverserait fondamentalement l’idée de décontamination”, argue M. Hanzawa. Chaque membre des foyers...
