L'heure au Japon

Parution dans le n°51 (juin 2015)

Installé depuis de nombreuses années dans l’archipel, Manuel Tardits nous confie son enrichissante vie d’architecte. “L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ?” Victor Ségalen Cette citation de Ségalen, l’écrivain français de l’orientalisme par excellence, me semble admirablement anticiper la destinée d’un architecte étranger au Japon. L’aphorisme vaut non seulement pour qualifier le dépaysement particulier qu’impose, encore aujourd’hui, une vie en Extrême-Orient mais aussi pour toute architecture. Quel but poursuit l’architecte sinon celui de trouver un rapport harmonieux entre une pensée formelle, une esthétique et leur traduction dans le monde réel où s’exerce la belle trivialité des contraintes? L’imaginaire confronté au Japon réel où je vis, enseigne, construis et écris depuis près de 30 années, loin de déchoir, me montre le contraire au fil des jours. Je ne garde pas un souvenir très clair du moment exact où j’ai pensé venir au Japon. C’était au début des années 1980, quand j’envisageais d’aller me perfectionner à l’étranger au sortir de mes études d’architecture à Paris. A cette époque j’appréciais déjà la littérature contemporaine et le cinéma japonais, mais n’avais qu’une connaissance limitée de ses architectes. Pourtant, deux expositions parisiennes, qui montraient surtout des résidences privées, m’ont marqué et sans doute incité à partir : celles consacrées à Ando Tadao et Shinohara Kazuo. Si, au début des années 80, le premier commençait à être connu avec ses maisons tout en béton apparent (matériau assez décrié en France), austères, abstraites, refermées sur elles-mêmes, ce n’était pas le cas du second. Malgré la beauté étrange des maisons de Shinohara, dont certaines disposaient un sol en pente, ou en terre, des parties enterrées ou des collages formels agressifs, celles-ci m’apparaissaient incompréhensibles, quoique je ne doutasse point d’une pertinence que leur exotisme me masquait. Ma curiosité piquée, je découvris également dans des publications l’œuvre postmoderne et attirante de Maki Fumihiko. Ce dernier allait d’ailleurs m’accueillir en 1986, successivement comme chercheur boursier puis comme étudiant en master au sein du laboratoire qu’il dirigeait à l’université de Tôkyô. Chose inhabituelle pour un étudiant français, mais passionnante quand on s’intéresse tout autant à la pratique qu’à la recherche, Maki faisait plancher ses étudiants sur les nombreux concours internationaux auquel il était invité. Outre ces occasions de participer à des projets hors du commun avec un grand maître, je pense en avoir retiré deux choses : l’amour des maquettes et la souplesse de l’esprit. La maquette, art de la précision, oserais-je dire, auquel on consacre de très longues heures au Japon, permet de bien visualiser les projets et de communiquer les idées. La souplesse d’esprit tient, quant à elle, à cette nouvelle habitude que j’ai prise de ne considérer aucune solution comme meilleure qu’une autre. En effet, avant de choisir un parti, que de propositions étudiées en parallèle par Maki qui doutait en permanence et ne privilégiait...

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