L'heure au Japon

Parution dans le n°117 (février 2022)

La ville de Chôfu où l’artiste a vécu près de 60 ans est un endroit intimement lié à son œuvre et ses personnages. En sortant du Jindai-ji, le Kitarô Chaya est un des lieux incontournables pour ses fans. On y trouve toutes sortes d’objets et de plats inspirés par ses œuvres. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Deux lieux sont chers aux fans de Mizuki Shigeru  : le premier est Sakaiminato, dans la préfecture de Tottori, où l’artiste a grandi (voir Zoom Japon n°3, septembre 2010) ; le second est Chôfu, la ville de la banlieue ouest de Tôkyô où il a passé les 56 dernières années de sa vie.Le mangaka s’y est installé en 1959, un an après avoir fait ses débuts en tant que dessinateur de mangas, en travaillant pour le marché florissant des kashihon (livre disponible à la location) à cette période. La ville de Chôfu était devenue l’une des plus grandes villes de la région. Reliée au centre de Tôkyô par la ligne de chemin de fer Keiô, elle s’était rapidement développée après le grand tremblement de terre de 1923 qui avait frappé la capitale et ses alentours, lorsque de nombreuses personnes et entreprises avaient déménagé en banlieue. En 1955, par exemple, elle comptait plus de 45 000 habitants. 10 ans plus tard, elle dépasserait les 100 000 habitants.Aujourd’hui encore, Chôfu est classée comme l’une des villes japonaises ayant le plus fort taux de croissance démographique. Des quartiers, comme Kichijôji (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019) ou Shimo-Kitazawa, apparaissent peut-être plus branchés parmi les jeunes qui aiment s’amuser, mais Chôfu est le seul endroit, en dehors des 23 quartiers centraux de Tôkyô, où la population continue de croître.Il faut entre 10 et 20 minutes pour rejoindre Chôfu en train depuis Shinjuku. Le Kitarô Bus, un bus coloré, propose plusieurs itinéraires et peut vous emmener partout, mais la meilleure façon d’explorer la ville est à pied ou à vélo. En effet, on ne peut que remarquer toutes les personnes qui se déplacent à vélo et les nombreuses places de stationnement et voies de circulation réservées aux bicyclettes. Selon une enquête récente, 16 % des habitants de Chôfu utilisent la voiture comme principal moyen de transport, tandis que 22 % sont des cyclistes, soit presque autant qu’aux Pays-Bas, considérés comme le pays de la bicyclette par excellence.Il est intéressant de noter que, selon une étude de l’université de Lund en Suède sur l’impact des bicyclettes sur la vie communautaire, conduire une voiture entraîne une perte de 20 yens pour la société pour chaque kilomètre parcouru en raison des embouteillages et de la pollution atmosphérique, alors que la même distance parcourue à vélo apporte un bénéfice de 20 yens. Par ailleurs, les personnes qui font du vélo pendant 30 minutes par jour verraient leur risque de développer un diabète réduit de 40 %. Le temple Jindai-ji est l’un des lieux que l’artiste appréciait. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Quoi qu’il en soit, la première destination de notre tour de Chôfu est très proche de la gare. La Tenjin-dôri ressemble à première vue à une rue commerçante typique, mais nous découvrons rapidement qu’elle est peuplée de statues à l’effigie de personnages tirés du best-seller du mangaka Kitaro le repoussant (GeGeGe no Kitarô, trad. par Fujimoto Satoko et Eric Cordier, éditions Cornélius). Nezumi Otoko est allongé sur un banc, Neko Musume et Ittan-Mmomen sont assis sur un boîtier de transformateur, et Kitarô lui-même accueille les passants à l’entrée de la rue. Ils ont été installés en 1991 à la suite d’une proposition de Mizuki lui-même, qui avait apparemment l’habitude de faire ses courses dans cette rue. Aujourd’hui encore, elle conserve une atmosphère décontractée. Non loin de là, d’ailleurs, se trouve un bâtiment anodin abritant Mizuki Productions (voir pp. 5-7), la société qui gère l’énorme production créative de l’artiste et planifie les nouveaux projets de mangas et d’anime.A l’extrémité nord de Tenjin-dôri, on trouve le Fuda Tenjin, un très ancien sanctuaire shintoïste entouré de verdure qui aurait été construit au Ier siècle sous le règne du 11e empereur Suinin. Il est étonnant qu’un espace aussi calme se trouve à seulement 5 minutes de marche de la gare de Chôfu. En plus d’être un célèbre lieu de pouvoir, le lieu est populaire parmi les fans de Kitaro le repoussant en tant que destination de pèlerinage pour les otaku. Selon la version originale de la saga du yôkai, intitulée Hakaba Kitarô (Kitaro du cimetière), le petit bosquet du sanctuaire est également l’endroit où Kitarô est censé vivre. En effet, Chôfu a été une grande source d’inspiration pour le mangaka et nombre de ses œuvres sont, au moins en partie, liées à la ville et à son environnement naturel.Après avoir dit nos prières et acheté un omikuji (divination inscrite sur une bande de papier) sur le thème de Kitarô, nous reprenons notre marche vers le nord en traversant la jolie rivière locale, la Nogawa, et en passant devant de nombreux champs et magasins indépendants. Bien que Chôfu soit assez proche du centre de Tôkyô, environ 10 % de sa superficie est utilisée comme terre agricole, et il y a un taux relativement élevé d’agriculteurs qui contournent les canaux de distribution traditionnels pour concentrer leurs ventes directement sur la communauté locale. Une grande partie de leurs produits, par exemple, se retrouve dans les repas scolaires, et plus de 60 % des habitants de la ville achètent habituellement des légumes dans des points de vente directe, ce qui contribue à soutenir l’économie agricole locale et à resserrer les liens entre consommateurs et producteurs. Cela permet, entre autres, aux agriculteurs de Chôfu d’utiliser moins de pesticides. Le mangaka a vécu 56 ans à Chôfu. Ses personnages y sont omniprésents. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon A l’heure de l’économie mondialisée, cette relation traditionnelle a été rompue, car une grande partie de la nourriture que nous consommons quotidiennement provient de loin. Au Japon, par exemple, le kilométrage alimentaire moyen (c’est-à-dire la distance entre la zone de production des aliments et la zone de consommation) est de 16 000 km. En comparaison, le kilométrage alimentaire en Grande-Bretagne est de 4 000 km. A Chôfu, cependant, ce taux est bien inférieur à la moyenne nationale. En d’autres termes, les résidents locaux ont trouvé le moyen d’entretenir une petite économie...

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