
La situation à la centrale de Fukushima Dai-ichi incite un nombre croissant de Japonais à douter du nucléaire. L’été approche. Tout le monde va à la plage pour s’amuser. Quand je cherche un coin tranquille pour me baigner, je tombe sur une centrale nucléaire. Qu’est-ce qu’elle fout là ? Je n’en ai aucune idée dans ce petit pays qu’est le Japon. Summertime blues”. C’est ainsi que commence la chanson du groupe RC Succession adaptée du célèbre titre signé Eddie Cochran. Sortie en 1988, Summertime blues, revue et corrigée par le génial Imawano Kiyoshirô, avait bien sûr fait scandale au pays du consensus. La maison de disques du groupe Tôshiba-EMI avait décidé de suspendre sa commercialisation alors que la chanson occupait la tête des meilleures ventes. Mais il était inconcevable que l’on diffuse un disque aussi sulfureux mais pourtant prémonitoire. “La cheminée crache une fumée noire et le tremblement de terre redouté peut survenir. Malgré cela, ils continuent de construire des centrales. Mais pourquoi donc ? Je n’en ai aucune idée dans ce petit pays qu’est le Japon. Summertime blues”, dit le second couplet. Depuis cette mémorable chanson, la voix d’Imawano Kiyoshirô s’est éteinte, mais son message est resté. Les récents événements à la centrale de Fukushima Dai-ichi sont venus rappeler que le nucléaire pouvait être un poison dont il était difficile de se débarrasser. Ils ont aussi contribué à rallumer la flamme du mouvement antinucléaire dans l’archipel. Dans un pays atomisé en 1945, le nucléaire a toujours été un sujet sensible, notamment dans sa dimension militaire. L’opinion publique s’est d’ailleurs souvent mobilisée pour rappeler son opposition à l’arme atomique, les commémorations de l’atomisation de Hiroshima et Nagasaki servant de caisse de résonance au niveau mondial. En ce qui concerne le nucléaire civil, les voix ont cependant eu plus de mal à se faire entendre comme l’a montré l’exemple de RC Succession. Il est vrai que dans un pays dépourvu de matières premières, il a été facile de convaincre la population des bienfaits de l’énergie nucléaire. Par ailleurs, le gouvernement japonais, qui a pris la tête dans la lutte contre le réchauffement climatique, a eu beau jeu de rappeler l’intérêt de l’atome qui ne rejette pratiquement aucun gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Quelques jours après le séisme, alors que la situation à la centrale de Fukushima Dai-ichi était alarmante, on expliquait encore à la télévision l’intérêt du nucléaire sur le plan environnemental. Il faut ajouter que le nucléaire civil est désormais considéré comme une source de devises non négligeables dans un pays en crise depuis une vingtaine d’années. Pas facile dans ces conditions de prêter attention aux avertissements lancés y compris par ceux travaillant dans le secteur. En 1997, Hirai Norio, technicien chez Hitachi pendant 20 ans et chargé de l’installation de canalisations à la centrale de Fukushima, a publié un document d’une vingtaine de pages dont nous sommes en possession dans lequel il dénonçait les négligences et de nombreuses erreurs humaines dues à un personnel sous-qualifié embauché par des entreprises sous-traitantes faisant appel aux paysans ou pêcheurs de la région sans aucune formation spécifique. Aujourd’hui, l’ancien conseiller auprès de la Commission nationale d’enquête sur les accidents nucléaires et témoin dans le procès pour l’arrêt de la centrale de Fukushima Dai-ni serait sans doute plus écouté et son message plus facilement relayé. Beaucoup de Japonais se sentent dé-sormais menacés et remettent en cause le discours des autorités. Un sondage réalisé par la chaîne TV Asahi, le 11 avril, révélait que 65 % des personnes interrogées émettent des doutes sur la qualité de l’information concernant l’accident de Fukushima Dai-ichi. Ils veulent en savoir plus et se demandent si le nucléaire est la bonne solution comme en témoigne le succès inattendu du documentaire suédo-finlandais Into Eternity [diffusé en France par Arte en janvier 2011] sur la construction d'un sanctuaire conçu pour abriter des déchets nucléaires. Sorti le 2 avril dans le petit cinéma Uplink à Shibuya, il est l’illustration du doute qui gagne la population. “Notre salle ne peut contenir que 60 personnes, mais nous faisons salle comble à chaque fois. Nous sommes obligés de refuser des spectateurs. Nous avons donc décidé de le diffuser trois fois par jour et toujours avec le même succès. Plusieurs cinémas veulent le montrer et nous sommes en discussion pour une sortie nationale”, confie Asai Takashi, le patron d’Uplink....
