L'heure au Japon

Parution dans le n°130 (mai 2023)

Le portrait de Tokugawa Ieyasu par Kanô Tan’yû. / Collection du château d’Ôsaka A l’occasion de la diffusion sur la NHK d’une série événement à sa gloire, nous dressons le portrait de Tokugawa Ieyasu. Tokugawa Ieyasu, seigneur féodal qui, au début du XVIIe siècle, a ramené la paix au Japon après 150 ans de guerres civiles et de bouleversements sociaux, et dont le régime shogunal a duré jusqu’en 1868, est l’une des figures historiques les plus importantes du Japon et pourtant l’une des plus méconnues. Cependant, des recherches récentes ont jeté un nouvel éclairage sur sa vie et son héritage. Zoom Japon s’est entretenu de la fondation de la dynastie Tokugawa avec Mayama Tomoyuki, écrivain primé et spécialiste des personnages historiques célèbres. Il a notamment publié en 2022 Nanikato Ningen-kusai Tokugawa Shôgun [Les Tokugawa, des shôgun trop humains, inédit en français]. Quel genre de personne était Ieyasu, et pour-quoi beaucoup de gens au Japon semblent lui préférer Oda Nobunaga et Toyotomi Hide-yoshi, les deux seigneurs féodaux qui ont lancé le processus d’unification et de pacification ?Mayama Tomoyuki : Oda Nobunaga était une sorte de révolutionnaire qui voulait changer les choses et créer un nouveau statu quo. Il était audacieux et avait un tempérament très rude. Il faisait preuve d’une intensité unique, ce qui n’est pas très courant chez les Japonais. Je pense que les gens sont encore aujourd’hui attirés par ce genre de détermination. Quant à Hideyoshi, il était un roturier. Issu d’une famille de paysans, il est parvenu à devenir le serviteur de Nobunagaet, lorsque celui-ci a été tué, il l’a remplacé en tant qu’homme le plus puissant du Japon. Leurs vies sont toutes deux inspirantes et ont le pouvoir d’enflammer l’imagination des gens.Ieyasu, quant à lui, a toujours été dépeint comme une personne ordinaire, peu inspirante, qui a simplement profité des opportunités qui s’offraient à elle. Par exemple, il a formé une alliance avec Oda Nobunaga, mais ne l’a jamais trahi et s’est contenté d’en être le partenaire. Il n’a jamais essayé de s’emparer du pouvoir par une action forte et audacieuse. Même après la mort de Nobunaga, il s’est contenté de se renforcer, attendant qu’une bonne occasion se présente à lui. En tant que dirigeant, il est une figure ennuyeuse, pas un personnage digne de la culture pop, c’est pourquoi il n’a guère attiré d’admirateurs. Du moins, jusqu’à aujourd’hui et la récente révision historiographique. Mayama Tomoyuki a beaucoup étudié la personnalité de celui qui a mis un terme à la guerre civile. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Pour comprendre Ieyasu, il faut comprendre la période Sengoku (provinces en guerre). Que pouvez-vous me dire sur les 150 années qui ont précédé le régime de Togukawa ?M. T. : C’était une époque où le pouvoir du gouvernement central était très affaibli. L’autorité impériale était en déclin et le pouvoir du shôgun avait également été considérablement réduit par toutes sortes de forces centrifuges. C’était une époque où l’ensemble du Japon se désagrégeait et où chaque région était gouvernée par un clan féodal qui voulait soit obtenir une plus grande autonomie, soit étendre son pouvoir au reste du pays. En ce sens, le Japon était aussi un lieu qui offrait des opportunités à ceux qui avaient la force et le courage de gravir les échelons. C’est pourquoi la période Sengoku est si populaire et est souvent représentée dans la culture populaire. Elle est remplie de personnages romantiques et de chefs de guerre impressionnants. Il est facile d’éprouver de l’empathie pour eux. Etudier cette période, c’est comme lire une histoire pleine de rebondissements où l’on ne sait jamais ce qui va se passer. Je ne pense pas que j’aimerais en faire l’expérience moi-même (rires), mais c’était sans aucun doute une période passionnante. On dit que pendant cette période, il ne fallait jamais baisser sa garde, même lorsqu’on traitait avec ses alliés. Quelles étaient les relations d’Ieyasu avec ses alliés et ses ennemis ?M. T. : La période Sengoku est une succession tellement chaotique d’événements, de batailles et de morts que les alliés et les ennemis d’Ieyasu ne cessent de changer, si bien qu’il doit constamment réfléchir aux choix qu’il peut faire dans ce chaos. La relation qu’il entretient avec Honda Masanobu en est un bon exemple. Le père de Masanobu avait servi la famille d’Ieyasu, mais lorsqu’une ligue de moines, de samouraïs et de paysans s’est rebellée contre Ieyasu en 1564, Masanobu s’est opposé à lui. On ne sait pas exactement quels dommages Ieyasu a subis du fait de cette rébellion, mais ce qui est intéressant, c’est qu’il a accueilli Masanobu à nouveau après un certain temps, comme une sorte de fils prodigue, et lorsque le shogunat d’Edo a été établi en 1603, il est devenu un auxiliaire indispensable. Il existe une expression pour décrire les trois choses préférées d’Ieyasu : “Sado-dono, Taka-dono, Oroku-dono”. Taka-dono fait référence au passe-temps favori d’Ieyasu, la fauconnerie ; Oroku-dono est une allusion à Oroku, l’une de ses concubines ; et Sado-dono est Honda Sado-kami Masanobu. Il est compréhensible que de nombreuses personnes se demandent comment Ieyasu a pu accorder sa confiance à quelqu’un qui s’était déjà battu contre lui. Mais il était un maître de la psychologie et a suivi toute sa vie le principe selon lequel “l’ennemi d’hier est l’ami d’aujourd’hui”. Et en effet, Ieyasu et Masanobu sont devenus amis et partenaires pour le reste de leur vie. En parlant d’alliances, quel type de relation Ieyasu entretenait-il avec Oda Nobunaga et pourquoi lui est-il resté fidèle pendant plus de 20 ans ?M. T. : Leur relation a commencé très tôt : Ieyasu a été enlevé par la famille Oda alors qu’il n’avait que cinq ans. Il y a été retenu en otage. Après avoir grandi et s’être établi en tant que seigneur féodal, Nobunaga et lui ont d’abord été sur un pied d’égalité, mais à mesure que Nobunaga étendait son pouvoir, il est devenu évident qu’il existait une relation hiérarchique entre eux. A un certain moment, Nobunaga a même assassiné la femme et les enfants d’Ieyasu, mais compte tenu ...

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