L'heure au Japon

Parution dans le n°116 (décembre 2021)

Quelques-unes des 50 affiches des films de la série Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme] avec Atsumi Kiyoshi, au Musée Tora-san, à Shibamata. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Ce personnage de fiction créé par le cinéaste Yamada Yôji a laissé une profonde trace dans la société japonaise. Au moment où la Maison de la culture du Japon à Paris entame, à partir de la mi-janvier 2022, une rétrospective de la série cinématographique Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme] qui compte 50 épisodes, la plus longue de l’histoire du cinéma mondial, et où le fondateur de Zoom Japon, Claude Leblanc, publie la première biographie de Yamada Yôji (Le Japon vu par Yamada Yôji, Editions Ilyfunet), son créateur, nous nous devions de revenir sur ce personnage qui a marqué durablement les Japonais par sa présence dans les salles obscures. Entre 1969 (1968, si l’on compte les 26 épisodes du feuilleton télévisé diffusé sur Fuji TV) et 1995, le personnage du camelot imaginé par Yamada Yôji (voir Zoom Japon n°49, avril 2015), a trusté le petit et le grand écran au Japon, puisque chaque année entre un et deux nouveaux volets de la série Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme] sortaient régulièrement. La saga est peut-être aujourd’hui terminée, et certains jeunes savent à peine qui est Tora-san, mais ses aventures picaresques constituent toujours un héritage culturel important.Dans un essai publié par le Matsushita seikei juku (Matsushita Institute of Government and Management), Okazaki Hiroki soutient que la série exprime l’essence de l’être japonais. Par exemple, si elle évoque les changements sociaux et culturels survenus dans les années 1970 et 1980, elle met également en avant l’importance des valeurs traditionnelles du pays.“On dit que l’idée de japonité est en train de disparaître de nos jours, et beaucoup soulignent le fait que les liens traditionnels dans les communautés locales sont devenus faibles. Dans la société rurale, les gens chérissaient la sagesse de leurs ancêtres et des anciens du village. Mais l’urbanisation a dilué ces valeurs communes. Même la famille de Tora-san et le quartier de Shibamata (voir Zoom Japon n°93, septembre 2019) sont dépeints comme étant en transition entre la société rurale et la société urbaine – un processus qui provoque souvent des conflits et des malentendus. Cependant, le quartier commerçant où se trouve la boutique familiale reste solide malgré toutes ces années. Les propriétaires des magasins semblent comprendre qu’ils doivent rester unis pour pouvoir concurrencer les grandes surfaces et les centres commerciaux”, explique-t-il.Tora-san est effectivement une sorte de rebelle têtu qui prône la liberté individuelle, mais aussi le wa, de sorte que l’harmonie finit par prévaloir dans chaque épisode de la série. “Le sentiment de dévotion au bonheur de la famille, des amis et des voisins ne faiblit jamais grâce aux liens forts qui existent au sein de la communauté. En définitive, s’entendre les uns avec les autres est la chose la plus importante. On y parvient par la discussion et la coopération. Depuis les temps anciens (voir pp. 22-25), les Japonais ont compris que pour que les choses aillent bien, il faut faire preuve de compassion et éviter d’être égoïste”, ajoute le chercheur. Pour illustrer son propos, il se concentre sur la relation de Tora-san avec les femmes dont il tombe amoureux, celles que tous les Japonais ont surnommées “madones”. “Le camelot court après les femmes à chaque fois bien qu’il échoue toujours. Un cas typique est le quinzième volet de la série Otoko wa tsurai yo : Torajirô aiaigasa (Tora-san Meets the Songstress Again, 1975), où le protagoniste admet que Lily, la femme qu’il aime, “est une dame intelligente et de bon caractère. Elle ne peut pas être heureuse avec un idiot comme moi.” En d’autres termes, Tora-san met de côté ses sentiments pour Lily et pense d’abord à son bonheur. On peut dire que l’attitude de Tora-san exprime parfaitement l’esprit de wa que les Japonais chérissent depuis les temps anciens”, assure-t-il.Kikuchi Masashi, journaliste politique à la Nippon TV, présente une interprétation différente de l’influence de Tora-san sur la société japonaise. Dans un article publié sur le site Gendai Shinsho, il affirme que les gens d’aujourd’hui sont moins susceptibles de se mettre en colère...

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