L'heure au Japon

Parution dans le n°12 (juillet 2011)

En accueillant quelque 1000 sinistrés, l’équivalent de 20 % de sa population, la petite cité a fait mieux que les grandes villes. Sous un auvent fleuri face aux montagnes, Oishi Miwako regarde avec satisfaction sa dernière création. Fait de lianes et de branches recoltées dans la forêt, le panier est un cadeau pour l’auberge Yamato qui l’a accueillie il y a maintenant un mois. “C’est ma façon de remercier la patronne pour tout ce qu’elle fait pour nous”, explique-t-elle en souriant. Cette femme originaire de la ville de Minami-Sôma dans la préfecture de Fukushima a perdu sa maison lors du tsunami. Elle a été évacuée cinq jours après la catastrophe vers le village de Katashina. “Un bus est venu nous chercher et nous avons fait 7 heures de route pour arriver ici, je n’avais jamais vu autant de neige de ma vie”,  s’exclame cette dame plus habituée à la plage qu’au climat rugueux de la montagne. Voisine de Fukushima, la préfecture de Gunma est connue dans tout le Japon pour son parc national d’Oze, à cheval entre les deux régions. Mais cette fois-ci, c’est l’initiative du village de Katashina qui a attiré l’attention. Il a accueilli 920 réfugiés alors que le hameau ne compte que 5 000 âmes. Plus qu’une simple aide, les hôteliers de Katashina se sont mobilisés pour que les personnes venues de Minami-Sôma se sentent chez elles, comme à la maison. “Le maire a décidé tout de suite d’utiliser les chambres vides après les annulations massives qui ont suivi le séisme. En accord avec le syndicat des hôteliers et la préfecture de Gunma, Katashina a débloqué un budget pour accueillir dans l’urgence 1000 personnes”, raconte Kuwabara Mamoru, un des membres de l’équipe municipale. Le budget alloué est de 2500 yens par jour et par personne, avec trois repas et un logement dans des chambres individuelles, un luxe par rapport aux structures d’accueil publiques amenagées dans les écoles. “ J’ai changé trois fois de lieu avant d’arriver à l’auberge Yamato, et je m’y sens très bien”, lance Mme Oishi. Banba Katsuyuki acquiesce tout en époussetant le bac à plantes en bois qu’il vient de terminer. Ce charpentier fait partie des 11 personnes accueillies par l’auberge Yamato depuis début avril. “Banba-san est une célebrité depuis qu’il a eu sa photo dans le journal local”, rit Mme Oishi. Elle nous rappelle que la femme de M. Banba est toujours portée disparue. Il habitait à 1,5 km de la côte et a tout perdu lors du tsunami. Mais grâce aux outils de menuiserie qu’il a reçus de tout le Japon après la publication de son histoire dans le journal, il a pu reprendre goût au travail. Et comme tous les pensionnaires venus de Minami-Sôma, il contribue chaque jour à l’embellissement de l’auberge Yamato. “J’aime cet endroit et les gens aussi. Mais j’aimerais quand même rentrer vite chez moi !” s’exclame t-il. Depuis avril, 500 réfugiés ont quitté le village pour aller s’installer chez des proches, mais il reste encore 400 personnes qui attendent d’être relogées. “Minami-Sôma vient de commencer la troisième phase de construction des logements provisoires”, explique Takahashi Makoto qui nous a guidé jusqu’à l’auberge Yamato. Cet employé de la ville de Minami-Sôma est  venu à Katashina pour s’occuper des sinistrés. Il fait regulièrement des allers-retours entre les deux préfectures. “Les logements provisoires sont construits par groupe de 500, il y en aura bientôt 1 500 de prêts”, dit-il, tout en précisant que le manque d’espace est très problématique. “Nous avons besoin de 5 000 logements, mais nous ne pouvons construire que sur un quart de la surperficie de la ville. Cela correspond à la zone située à l’extérieur du périmètre d’exclusion des 30 kilomètres autour de la centrale de Fukushima-Dai-ichi. Nous n’avons pas assez de place”, ajoute-t-il. La difficulté de Minami-Sôma réside bien dans le fait que la ville est située en partie dans cette zone d’exclusion. Directement touchée par la radioactivité, la municipalité ne peut pas reloger tous ses administrés. “Seuls les habitants de la zone d’exclusion, les sinistrés du tsunami ou du séisme qui ont perdu leur maison peuvent bénéficier des logements provisoires. Les autres doivent regagner leur domicile ou trouver eux-mêmes un logement autre part”, explique M. Takahashi.  Minami-Sôma est devenue célèbre après l’appel vidéo lancé par son maire sur YouTube, un SOS face à la détresse des habitants et l’inertie du gouvernement. Grâce à cette initiative, la ville est sortie de l’ombre et a reçu des aides et des messages de solidarité en provenance du monde entier. Ces réactions spontanées et inattendues ont mis du baume au cœur des sinistrés même si la ville vit toujours sous la menace nucléaire. “Beaucoup de nos administrés ont peur de rentrer chez eux. Mais loin de leur ville, ils souffrent de discriminations", rappelle l’employé municipal. Le petit village de Katashina a accueilli chaleureusement les sinistrés de Minami-Sôma arrivés en pleine nuit avec une banderole tenue par des collégiens sur laquelle on pouvait lire “Nous voulons contribuer à votre sécurité”.  Modèle de rapidité et d’humanité, Katashina a servi d’exemple à beaucoup d’autres villages désireux d’apporter leur soutien aux victimes de la catastrophe du 11 mars. Depuis ces événements tragiques, trois mois se sont écoulés. Le village tient le coup et organise des réunions d’informations pour les gens de Minami-Sôma. Un “salon communautaire” a été amenagé près de la mairie. On y apporte des conseils, on règle des problèmes administratifs et on informe les sinistrés sur la situation dans leur ville natale. C’est aussi un moyen pour tous les sinistrés de garder le contact et de passer du temps ensemble. “Au début, nous avons eu aussi des appels de personnes qui avaient peur de la radioactivité, c’est pour cela que la préfecture de Gunma a décidé de distribuer des prospectus et d’organiser des campagnes...

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