L'heure au Japon

Parution dans le n°109 (avril 2021)

kuma kengo

Eric Rechsteiner pour Zoom Japon L’architecte japonais défend une approche de son travail plus en phase avec notre environnement. L’architecte de renommée internationale Kuma Kengo est très demandé ces jours-ci. Outre la conception de bâtiments de premier plan au Japon tels que le nouveau stade olympique de Tôkyô et le musée d’art Hiroshige, l’agence Kuma, qui compte 300 personnes réparties entre Tôkyô, Pékin, Shanghai et Paris, est à l'origine de la Cité des arts de Besançon, du FRAC de Marseille, du conservatoire de musique d’Aix-en-Provence ou encore du V&A Dundee en Écosse. Zoom Japon lui a rendu visite dans son bureau de Tôkyô pour parler de sa philosophie architecturale. Parlez-nous de L’Architecture naturelle (Shizenna kenchiku, trad. par Catherine Cadou et Chizuko Kawarada, Arléa, 15 €) et pourquoi l’avez-vous écrit ?Kuma Kengo : Le livre est divisé en huit chapitres dans chacun desquels je me concentre sur un projet et un matériau différent. C’est à la fois une histoire subjective de l’architecture, un manuel d’application pratique et une réflexion sur le sens de l’architecture. Le paysage urbain d’aujourd'hui est fait de grandes boîtes en acier et en béton. Pourtant, ces matériaux ne sont utilisés que depuis une centaine d’années. En fait, ce sont les matériaux caractéristiques du XXe siècle. Je pense que nous devrions ramener l’architecture dans le passé. Les villes faites d’acier et de béton ne sont pas bonnes pour les gens. Un retour aux matériaux naturels améliorerait à la fois notre santé mentale – nos âmes – et l’économie. J’ai donc écrit ce livre, en 2008, pour montrer comment l’architecture peut coexister avec la nature, comment nous pouvons réussir le mariage entre l’architecture et le lieu. C’est donc ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez que “l’architecture doit faire partie de la nature” ?K. K. : Oui, il suffit d’observer la vie animale pour constater que leurs espaces de vie se fondent naturellement dans leur environnement, ils font partie de la nature. Les oiseaux, par exemple, font leur nid dans les arbres. Nous sommes aussi des êtres vivants, mais nous avons tendance à séparer nos maisons de l’environnement qui les entoure. Je pense que c’est une erreur de notre part. Nous devrions considérer l’architecture comme une partie de la nature et essayer de vivre en communion avec elle, et non en opposition. En parlant de matériaux naturels, ces dernières années, l’activité de Kuma Kengo & Associates a été liée à l’utilisation du bois. Cependant, le studio de Kuma a expérimenté de nombreux matériaux différents, y compris les textiles.K. K. : J’aime les matériaux souples. Même le bois est plutôt doux et souple par rapport au béton. Par exemple, si vous tombez sur un sol en béton, vous pouvez vous blesser gravement, mais un sol en bois est plus indulgent, plus “convivial”. Il est également plus chaud et plus agréable au toucher. A cet égard, les textiles sont encore plus doux et plus agréables. C’est pourquoi j’aime travailler avec eux. Un bon exemple de la façon dont nous pouvons utiliser les textiles en architecture est la nouvelle gare de Takanawa Gateway à Tôkyô (voir Zoom Japon n°100, mai 2020), où un cadre mixte fait d’acier et de bois supporte une membrane textile. Dans notre agence, nous avons maintenant un membre du personnel qui se spécialise dans les textiles. Après une spécialisation en architecture, elle a étudié les tissus auprès de la designer textile néerlandaise Petra Breese, et elle est désormais en charge du développement des matériaux textiles dans notre bureau. Le musée Nezu dans le quartier d’Aoyama, à Tôkyô. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Cependant, le textile, par sa nature même, connaît des problèmes de durabilité et ne semble pas être le matériau idéal pour l’architecture.K. K. : C’est vrai. Ses performances peuvent également être fortement affectées dans un environnement venteux. Mais la technologie a permis de fabriquer des types de textiles plus solides et plus résistants, et une fois que nous aurons amélioré le contrôle de l’air, nous pourrons utiliser les tissus de manière très créative. Le matériau que nous utilisons est en fait très solide. Le grand avantage du textile par rapport aux autres matériaux est son pouvoir relaxant et apaisant. Quand on y pense, les êtres humains ont utilisé des vêtements avant de construire des habitats, et se sont protégés avec des tissus. En ce sens, les tissus remontent très loin dans notre vie primitive. C’est le tissu, plutôt que l’architecture, qui protège les gens mentalement. Parlez-nous de l’importance du “ma” et des espaces de transition dans vos projets.K. K. : Les modernistes ont divisé la vie humaine en différents environnements ayant des fonctions différentes, mais lorsque nous menons notre vie quotidienne, ces divisions n’ont aucun sens. La vie humaine est dans un état de flux constant. C’est pourquoi j’emprunte une autre direction et j’essaie d'intégrer tous ces lieux et fonctions.Le ma est un “espace-lien” qui vous met en contact direct avec votre environnement. L’architecture japonaise traditionnelle ne fait aucune distinction entre l’intérieur et l’extérieur. Au lieu de murs fixes et épais qui séparent les gens de leur environnement naturel, les maisons traditionnelles comportent de nombreux “espaces de transition”. Par exemple, nous avons des portes coulissantes qui s’ouvrent sur un jardin et laissent le vent souffler dans la maison. Ensuite, il y a l’engawa, ce couloir ouvert, qui, selon la disposition des portes coulissantes, peut se trouver à l’extérieur ou à l’intérieur de la maison. Les maisons actuelles sont des boîtes qui ne permettent pas le type de contact direct avec la nature que les espaces de transition d’antan rendaient possible.Lorsque cela est possible, j’essaie toujours d’inclure ces espaces de transition. Prenez, par exemple, la Cité des arts et de la culture de Besançon que nous avons construite au bord du Doubs. Nous avons dû travailler avec des structures existantes, à savoir un entrepôt en briques des années 1930 et le bastion pentagonal du XVIIe siècle de la citadelle Vauban. Nous ne voulions pas créer une simple boîte comme celles qui ont proliféré dans les années 1980. Au lieu de cela, nous avons proposé de relier les bâtiments existants avec un toit posé comme une fine feuille d’arbre, au magnifique bord de la rivière, donnant ainsi une unité à un site caractérisé par des éléments hétérogènes. Plus important encore, nous avons créé un espace spécial sous le toit où le vent de la rivière peut souffler et passer.Un autre projet où nous avons pu appliquer la même technique est le V&A Dundee, sur le front de mer de la ville écossaise. Nous avons ouvert une “grotte” au centre du bâtiment pour relier la belle nature de la rivière Tay à Union Street, l’axe qui traverse la ville de Dundee. Ce trou a permis d’étendre les activités de la ville jusqu’au front de mer, et la rivière a désormais retrouvé son rôle de promenade. L'utilisation d'un vide pour renforcer le lien entre la nature et les gens est en fait une idée que...

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