L'heure au Japon

Parution dans le n°26 (décembre 2012)

Pionnier dans les manifestations antinucléaires, le collectif de Matsumoto Hajime bouscule le conformisme. On connaissait les raves party sauvages, ces rassemblements illégaux de musique techno en pleine campagne, mais pas encore les guerilla demo [manifestations guérilla]. A Tôkyô, le collectif  Shirôto no ran [La révolte des amateurs] a inauguré ce genre nouveau à l'occasion du week-end antinucléaire du 10 novembre dernier. Son objectif était de parcourir la capitale en camionnette sans divulguer trop à l’avance ses haltes pour ne pas attirer la police. Le collectif le plus anarchiste de la capitale nipponne peut se vanter d'avoir organisé la première manifestation anti nucléaire, en avril 2011, après l'accident de Fukushima. Il avait alors rassemblé via les réseaux sociaux environ 15 000 personnes, un événement pour le Japon [voir Zoom Japon n°10, mai 2011]. Depuis, las d'être la cible des services d'ordre, le chef de file du collectif, Ma­tsumoto Hajime, a décidé de lancer une guerilla demo animée par des musiciens asiatiques hardcore avec un thème novateur : anti-frontière. Cet intellectuel anarchiste de 39 ans, auteur de plusieurs livres traduits en coréen et en chinois, a voulu casser les discours nationalistes des Etats qui se disputent depuis 60 ans les îles de Takeshima et Senkaku, les unes revendiquées par les deux Corées, et les autres par Taiwan et la Chine. Il s’est rendu plusieurs fois à Séoul et à Taipei. “J’ai rencontré des anarchistes, artistes et marginaux en tout genre. En les invitant à Tôkyô, j’ai voulu montrer que là-bas aussi, les jeunes veulent juste la liberté”. “J'en ai rien à foutre de Takeshima !!  Tu peux te la mettre où je pense !!” Sur une camionnette transformée en scène ambulante, le groupe coréen Bamseom Pirates se déchaîne en face de la gare de Shinjuku. Le trottoir est pris d'assaut par une quarantaine de jeunes en train de rire et de faire du pogo, une danse héritée de la période punk qui consiste à se rentrer dedans. La guerilla demo  a commencé depuis une heure et s'est déjà fait chasser d'Omotesandô, quartier à la mode du centre de la capitale japonaise. Devant le très bon chic bon genre magasin Laforêt, le chanteur Christfuck, venu aussi de Séoul, a deversé un flot d'insanités avant de se rouler torse nu sur le trottoir. La guerilla demo a ainsi déjà accompli sa première mission, celle de semer le désordre. “Les manif antinucléaires qui ont lieu, tous les vendredis devant la résidence du Premier ministre, sont une bonne chose, mais il y a tellement de police et de restrictions que cela nous rend nerveux”, explique Matsumoto. Son collectif se bat depuis longtemps pour revendiquer un droit à la libre expression dans un Japon asphyxié par les interdits. Alors qu’il doit faire appel à toutes les astuces pour survivre à Tôkyô comme il le raconte dans son livre Binbônin no gyakushû : Tada de ikiru hôhô [Les pauvres contre-attaquent: comment vivre sans le sou], une grand-mère est venue le voir, il y a quelques mois, en lui remettant une enveloppe de 500 000 yens [5000 €] à “utiliser pour le bien public”. Ayant été interdit d’entrée à Séoul...

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