
Depuis la fin du XIXème siècle, les Japonais ont su conjugué le plaisir de voyager et de bien manger. Une tradition bien ancrée. Il y a les voyageurs qui empruntent le train pour se rendre d’un point A à un point B. Chaque jour, des milliers de Japonais prennent le shinkansen entre Tôkyô et Ôsaka pour leurs affaires. Il y a aussi les Japonais qui choisissent telle ou telle ligne pour admirer les paysages qu’elle traverse. Pour eux, ce qui compte, c’est de garder les yeux grands ouverts afin de ne rater aucune miette du spectacle qui s’offre à eux. Enfin, il y a tous ceux qui parcourent parfois des centaines de kilomètres pour déguster la cuisine servie dans les trains. Mais attention, il ne s’agit pas des wagons-restaurant qui n’existent que dans les trains de nuit. Il s’agit des ekiben ou bentô vendus dans les gares ou directement dans les trains par de charmantes hôtesses qui défendent ainsi les valeurs culinaires de leur région. Certains de ces ekiben sont tellement réputés que les voyageurs n’hésitent pas à en acheter plusieurs pour en faire cadeau à des proches. Mais la plupart du temps, ils se contentent de les savourer assis à leur place, en profitant des magnifiques paysages qui les entourent. “Si l’ami du voyage est l’ekiben, l’ami de l’ekiben, c’est bien la fenêtre du train par laquelle on se délectera de la vue. Une fois qu’on l’a acheté et que l’on est revenu à sa place, on a souvent du mal à garder son calme, en attendant le moment où l’on déchirera le papier qui entoure la boîte tant convoîtée”. C’est en ces termes que Uesugi Tsuyoshi, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet et animateur du site Internet Ekiben no komado [Le guichet de l’ekiben] qui en recense plusieurs milliers, souligne l’importance de l’ekiben dans le comportement du voyageur qui est non seulement venu admirer la nature, mais aussi découvrir une spécialité locale. Si, en Europe, le sandwich reste pour beaucoup associé aux déplacements en train, l’ekiben constitue un élément clé de la culture japonaise des voyages. Le terme lui-même est tout un programme. Il a été forgé à partir des mots eki [gare] et bentô [boîte-repas que les Japonais utilisent de façon avérée depuis la fin du VIIIème siècle]. Lors de la mise en service des premières lignes de train dans l’archipel, la question des repas s’est très vite posée pour les voyageurs. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas de façon précise quand et où est apparu le premier ekiben tant les revendications sur son origine (ce qui en dit long sur son importance) sont nombreuses. La plupart des Japonais se moquent bien de savoir quand a été vendu pour la première fois la première boîte-repas dans une gare, mais ils n’échappent pas au débat lorsqu’ils achètent les ouvrages qui paraissent en grand nombre sur les ekiben. La plupart du temps, il s’agit de simples guides décrivant les qualités et les défauts de ces plats, mais il y a souvent une petite partie introductive dans laquelle l’auteur tente d’imposer une date par rapport à une autre. Il suffit de savoir qu’elle oscille entre 1883 et 1885. Le terme ekiben a été forgé à partir des termes eki et bentô Cette bataille autour de la naissance de l’ekiben montre également que l’histoire du train au Japon est intimement liée à la culture culinaire du pays et aux spécificités régionales en la matière. C’est la raison pour laquelle certains ekiben sont devenus au fil des décennies des références gustatives aussi importantes que certains plats servis dans les meilleurs restaurants de l’archipel. On comprend alors pourquoi certains n’hésitent pas à franchir des distances parfois considérables pour aller goûter telle ou telle boîte-repas. La gare de Yokokawa dispose encore du plus ancien guichet de vente d’ekiben (ekiben-ya) du pays encore en service. Ouvert en 1957, il y propose son fameux Tôge no kama meshi (La marmite du col) dont la réputation n’est plus à faire. Encensé par la presse au moment...
