L'heure au Japon

Parution dans le n°133 (septembre 2023)

1er septembre 1923 Carrefour de Hibiya peu après le séisme. La fumée a été ajoutée pour dramatiser l’événement. Musée mémorial du grand tremblement de terre du Kantô. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Il y a tout juste un siècle, la région de Tôkyô subissait un séisme d’une force inédite. Le 1er septembre 1923, à 11h58, un tremblement de terre de magnitude 7,9 sur l’échelle ouverte de Richter secoue la région du Kantô, qui englobe Tôkyô et les préfectures environnantes, notamment Kanagawa, Saitama et Chiba. Au total, 114 secousses ont été ressenties ce jour-là. Rien que dans la capitale, 187 incendies majeurs se sont déclarés, enveloppant rapidement la métropole de flammes et réduisant en cendres les habitations, les installations industrielles et les infrastructures publiques. Une estimation récente porte le nombre de morts et de disparus à 105 000.Lorsqu’une catastrophe d’une telle ampleur se produit, la cause principale des décès varie en fonction de plusieurs facteurs. Lors du séisme de Hanshin qui a frappé la région d’Ôsaka-Kôbe en 1995, par exemple, de nombreuses personnes ont été écrasées sous des bâtiments effondrés, tandis que le 11 mars 2011, le tsunami qui a suivi le tremblement de terre a fait de nombreuses victimes (voir Zoom Japon n°9, avril 2011). En 1923, en revanche, les incendies massifs ont été la principale cause de décès.A l’époque, Tôkyô, et en particulier les quartiers marchands et ouvriers situés à l’est du palais impérial et sur les deux rives du fleuve Sumida, était densément construit avec des maisons en bois, et comme le tremblement de terre a frappé juste avant midi, de nombreuses familles utilisaient le feu pour préparer les repas. Il a été rapporté que 136 incendies ont démarré dans ces quartiers et se sont rapidement étendus à une vaste zone en raison des vents soufflant dans la région de Kantô à cause d’un typhon qui, à ce moment-là, se déplaçait vers le nord.Cette tempête de feu de la taille d’une ville a produit à son tour un gigantesque tourbillon de feu qui, le 3 septembre, a tué 38 000 personnes qui s’étaient réfugiées au sein d’un dépôt de vêtements de l’armée dans l’ancien arrondissement de Honjô (site de l’actuel Mémorial du tremblement de terre dans le parc Yokoamichô). Certaines d’entre elles auraient été soufflées par ce vent brûlant jusqu’à Ichikawa, à environ 15 kilomètres de là.En fin de compte, 90 % des victimes sont décédées dans des incendies (91 781 sur un total de 105 385 victimes). On estime également que 1,9 million de personnes ont été blessées, qu’environ 109 000 bâtiments ont été complètement détruits et que 212 000 ont été réduits en cendre. Parmi les bâtiments endommagés, on compte ceux du gouvernement tels que le ministère des Finances, le ministère de l’Education, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et le département de la police métropolitaine. D’autres lieux ont été détruits par le feu, notamment des installations éducatives, culturelles et commerciales telles que l’Université impériale de Tôkyô, le Théâtre impérial et le grand magasin Mitsukoshi, à Nihonbashi. Cependant, la plus grande perte fut le Ryôunkaku (littéralement la Tour surpassant les nuages), un gratte-ciel de style occidental de 68,58 mètres de haut qui était à l’époque l’attraction la plus populaire de la capitale. L’Asakusa Jûnikai (Asakusa de 12 étages), comme on l’appelait affectueusement, avait été construit en 1890 dans le quartier d’Asakusa et abritait le premier ascenseur électrique du pays et 46 boutiques vendant les dernières merveilles technologiques du monde entier. Le tremblement de terre a détruit les étages supérieurs et endommagé la tour de manière considérable, si bien qu’elle a dû être démolie le 23 septembre.Environ 60 % des maisons de Tôkyô ayant été endommagées, de nombreux habitants se sont rendus dans des centres d’évacuation situés à proximité. Selon une enquête menée immédiatement après le tremblement de terre par la municipalité, on comptait 160 sites d’évacuation recueillant plus de 12 000 personnes le 5 septembre. Il s’agissait en majorité de sanctuaires et de temples (59 sites) et d’écoles (42). Le Secrétariat d’aide aux victimes du tremblement de terre du ministère de l’Intérieur a emprunté des tentes à l’armée, tandis qu’à partir du 4 septembre, les autorités ont commencé à construire des baraquements provisoires. Carte postale du Ryôunkaku après le séisme. / Odaira Namihei pour Zoom Japon Charles Schencking, historien du Japon moderne à l’université de Hong Kong, a étudié la catastrophe et ses implications plus larges. Dans The Great Kanto Earthquake and the Chimera of National Reconstruction in Japan (2013), il identifie deux récits principaux qui ont été amplifiés par le tremblement de terre. Le premier considère la catastrophe comme une “punition divine” contre le luxe et la surconsommation du pays ; le second voit l’événement comme une occasion de reconstruire la capitale en tant que ville moderne de classe mondiale. C’est d’ailleurs ce que pensait le politologue et historien américain Charles A. Beard en 1923. Il s’était rendu au Japon quelques mois avant le tremblement de terre pour effectuer des recherches sur son nouveau livre, The Administration and Politics of Tokyo. Il y retourna peu après la catastrophe à l’invitation du nouveau ministre de l’Intérieur, Gotô Shinpei, et après avoir constaté les dégâts, il réécrivit la préface de son livre : “Le tremblement de terre et l’incendie ont détruit un grand nombre des caractéristiques physiques de Tôkyô décrites dans les pages suivantes. La catastrophe a également éliminé de nombreux obstacles physiques qui ont empêché la réalisation des plans d’amélioration de la ville. Elle est également destinée à débarrasser le terrain des vieux préjugés et des pratiques enracinées et à faire place à un nouveau gouvernement municipal correctement organisé pour ses nouvelles tâches”.Ce n’est pas un hasard si M. Beard a été invité par M. Gotô, car c’est lui qui a dirigé le projet de restauration. Il a d’abord tenté de créer un ministère de la Reconstruction de la capitale impériale qui concentrerait tous les pouvoirs des gouvernements locaux et prendrait en charge les affaires relevant de la compétence de chaque ministère, mais il s’est heurté à une forte opposition des autres ministères et a finalement créé l’Institut de reconstruction de la capitale impériale, un organe administratif directement impliqué dans l’élaboration du plan de reconstruction.Avant même le tremblement de terre, alors qu’il était maire de Tôkyô entre le 17 décembre 1920 et le 20 avril 1923, Gotô Shinpei avait...

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