L'heure au Japon

Parution dans le n°24 (octobre 2012)

Pour Ono Hirohito, un des principaux responsables de la rédaction de l’Asahi Shimbun, la presse a un train de retard. Depuis plusieurs années, la diffusion des journaux baisse au Japon. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Ono Hirohito :  Tout d’abord, d’autres moyens de s’informer sont apparus notamment Internet. Par ailleurs, les jeunes, en particulier les étudiants, prennent de moins en moins d’abonnements à la presse écrite. Cela s’explique aussi par une méfiance grandissante à l’égard des institutions établies dont font partie les grands médias. Cette méfiance est apparue avant ou après les évéments du 11 mars 2011, en particulier ceux liés à l’accident de Fukushima Dai-ichi ? O. H. :  C’est quelque chose qui a commencé bien avant le 11 mars, mais ce qui s’est passé après cette date a sans doute renforcé ce sentiment de méfiance. Parmi les arguments avancés pour justifier cette méfiance, on a souvent évoqué la dépendance des grands médias vis-à-vis des compagnies d’électricité comme Tepco, en particulier sur le plan publicitaire. Que répondez-vous à cela ? O. H. :  Comme d’autres journaux dans le monde, les quotidiens japonais vivent en partie de la publicité. Mais les compagnies d’électricité ne sont pas les seules à utilser ce support pour communiquer. Aussi le fait de publier des encarts publicitaitres de Tepco, par exemple, ne signifie pas que nous sommes dépendants de cette entreprise. C’est un peu facile de faire ce racourci. Quand j’étais jeune journaliste, j’ai fait mes premières armes dans la préfecture de Saga, région où est implantée une centrale nucléaire. A l’époque, il y avait un projet pour construire d’autres réacteurs. J’ai écrit de nombreux articles contre ce projet-là. L’Asahi Shimbun publiait déjà les encarts des compagnies d’électricité, mais à aucun moment, mes articles n’ont été censurés par la direction du journal. Je vous rappelle aussi qu’à ce moment-là le journal n’était pas foncièrement opposé à l’énergie nucléaire commùe on pouvait le lire dans certains éditoriaux. Mais cela n’empêchait pas de publier ailleurs dans le journal des articles mettant en doute le nucléaire ou remettant encause certains projets comme je l’ai moi-même fait. Donc cette accusation de collusion entre les journaux et les compagnies d’électricité pour des raisons de dépendance publicitaires ne tiennent pas. Je peux dire que nous sommes libres d’écrire ce que nous voulons. Reste que de nombreux journalistes ont des hésitations à l’égard de l’attitude à adopter. C’est un fait. Mais cela n’a pas empêché notre journal de faire paraître en juillet 2011, environ quatre mois après l’accident de Fukushima, un grand éditorial dans lequel nous affirmions que le Japon devait désormais construire un avenir sans centrales nucléaires. Cela prouve bien que nos positions ne sont aucunement liées aux contrats publicitaires. Malgré tout le doute subsiste notamment depuis que certaines manifestations importantes de l’opinion publique contre le nucléaire n’ont pas été couvertes par la presse, y compris votre journal. O. H. :  Concernant les manifestations du mois de juin autour de la résidence du Premier ministre, l’Asahi Shimbun a publié de grans articles à leur sujet. En revanche, c’est plutôt le Tôkyô Shimbun qui a minimisé leur importance. Voilà pourquoi ce journal a dû se fendre d’un article d’excuses. En revanche, la plus grande manifestation contre le nucléaire qui s’est déroulée en  septembre 2011 a été très mal couverte par l’Asahi Shimbun. C’est un fait et c’est un problème. En effet, cette manifestation était d’une ampleur rare dans un pays où l’on manifeste peu. C’était un événement exceptionnel et notre journal n’a pas su saisir son importance. Par ailleurs, l’Asahi Shimbun n’a pas non plus assez consacré d’espace aux rassemblements qui se sont déroulés par la suite. Mais ce n’est pas parce que nous soutenions les centrales nucléaires, je vous rappelle que nous avions déjà pris position pour un Japon sans énergie nucléaire. Nous avons échoué dans notre couverture de ces événements parce que nous n’avons pas compris toute la portée de ces manifestations. Non seulement elles concernaient le nucléaire, mais elles marquaient une contestation vis-à-vis de la démocratie indirecte, c’est-à-dire du fonctionnement de la démocratie dans notre pays. Comme dans d’autres pays démocratiques, la démocratie japonaise est malade et la question nucléaire a mis en évidence sa faiblesse. D’un côté, la majorité de la population se montre inquiète voire hostile à l’égard du nucléaire alors que les hommes politiques se montrent insensibles à ces craintes. Les manifestations étaient donc à la fois dirigées contre la politique nucléaire, mais aussi contre la démocratie actuelle. C’est un élément très important à souligner. Je crois que les grands médias, y compris l’Asahi Shimbun, n’ont pas su appréhender cet aspect des choses. Les journalistes des sections politiques dans les grands journaux estiment que la décision politique incombe au pouvoir,  aux hommes politiques ou députés élus, en d’autres termes aux institutions de la démocratie indirecte. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas envisager que des manifestations...

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