
Dans un entretien exclusif accordé à Zoom Japon, Yamada Yôji revient sur ses 60 ans de carrière. Commençons par le commencement. En 1954, après votre diplôme de droit à l’université de Tôkyô, vous commencez à travailler à la Shôchiku, un des grands studios du pays. Qu’est-ce qui vous a amené à devenir réalisateur ? Yamada Yôji : Pour vous dire la vérité, je n’avais jamais imaginé devenir cinéaste. J’aimais le cinéma, bien sûr, mais je ne pensais pas que j’étais fait pour la réalisation. Cela dit, même si j’avais fait du droit, je ne me voyais pas non plus travailler dans ce secteur ou bien devenir un simple employé de bureau. J’ai essayé de devenir journaliste, mais personne n’était intéressé par une personne comme moi avec un diplôme comme le mien. A l’époque, la situation économique du pays ne s’était guère améliorée et il n’était pas facile de trouver un boulot. J’ai donc passé un examen d’entrée à la Shôchiku et on peut dire que je suis entré dans l’univers du cinéma par chance. Mais vous aimiez le cinéma ? Y. Y. : Oui. C’est vrai que j’aimais le cinéma, mais cela ne voulait pas dire grand-chose. J’allais dans les salles obscures comme n’importe qui d’autre parce qu’il s’agissait du principal loisir et d’un passe-temps national. Les films étaient aussi une fenêtre sur d’autres cultures et modes de vie. Pour beaucoup de jeunes comme moi, regarder un film relevait d’une expérience d’apprentissage. Quand vous avez commencé à la Shôchiku, Ozu Yasujirô y tournait encore et vous faisiez partie des nouveaux arrivants. Parmi eux, Ôshima Nagisa, Shinoda Masahiro ou encore Yoshida Yoshishige ont initié quelques années plus tard ce qu’on a appelé la Nouvelle vague japonaise qui a bouleversé le cinéma dans les années 1960. Cela a-t-il été difficile pour vous de trouver votre place entre les anciens et cette génération de jeunes Turcs ? Y. Y. : Cela n’a pas été facile d’autant que, comme je vous le disais, je n’avais aucune idée de comment faire un film. J’ai dû commencer du début et apprendre petit à petit, jour après jour, en travaillant en tant qu’assistant. Comme Ôshima, vous avez commencé comme assistant de Nomura Yoshitarô. Quels étaient vos rapports avec Ôshima ? Y avait-il une sorte de rivalité entre vous ? Y. Y. : Oui bien sûr, mais je ne représentais pas un véritable enjeu pour lui. D’une part, il était beaucoup plus ambitieux que moi. Depuis le début, il savait très clairement l’objectif qu’il voulait atteindre et le genre de films qu’il voulait réaliser. En comparaison, j’étais un véritable amateur. Je pensais que s’il fallait en passer par là pour devenir metteur en scène, je n’y arriverai jamais. C’est la raison pour laquelle, je me suis d’abord tourné vers l’écriture. Je pense que notre seul point commun avec Ôshima était notre détestation des films d’Ozu. (rires) Comment en êtes-vous arrivé à faire votre premier film Nikai no tanin [L’étranger du 1er étage] en 1961 ? Y. Y. : Je le dois à Nomura Yoshitarô. Il avait trouvé une bonne idée de film pour moi et en avait même écrit le scénario. L’idée originale était tirée d’une nouvelle de suspense de Takigawa Kyô, mais il m’a suggéré d’en faire une comédie. Le film a bien marché et c’est à partir de là que ma carrière a démarré. Mais je n’ai jamais cherché à développer, du moins consciemment, un style particulier. Tout s’est fait naturellement. J’aimerais aborder votre façon de travailler et en particulier la direction des acteurs ? Y. Y. : Comme vous le savez, certains metteurs en scène poussent les acteurs à improviser les dialogues. Pour moi, la base est le scénario. Nous répétons plusieurs fois avant de tourner les scènes de manière à ce que tout le monde soit à l’aise avec le texte. Cela dit, le script est une matière en perpétuel mouvement et certaines parties peuvent être retravaillées ou changées pendant le tournage. Je suis toujours ouvert aux suggestions, mais le scénario original reste le point de départ. Cela n’empêche pas certains acteurs de faire de l’improvisation, mais c’est une chose que seule une personne expérimentée peut faire. J’ai entendu dire que vous séjourniez toujours dans la même auberge traditionnelle pour écrire un nouveau film… Y. Y. : C’est exact. Créer un environnement de travail idéal dans lequel je me sens le plus à l’aise est très important pour moi. Il se trouve que j’aime beaucoup cet endroit à Kagurazaka, au cœur de Tôkyô. J’aime les tatami et les tables basses. C’est une vieille bâtisse qui penche d’un côté… J’imagine que le jour où j’arrêterai de faire des films, ils la fermeront. Il n’y a donc que vous et le scénariste qui travaillez sur l’histoire jusqu’à ce qu’elle soit terminée ? Y. Y. : Oui, c’est comme ça que nous travaillons. Mais cela ne prend pas trop de temps non plus. Je peux passer une à deux années à penser à un projet de manière à ce que l’histoire prenne peu à peu forme dans ma tête. car il se peut qu’il y ait d’autres histoires en compétition. Je prends le temps de bien réfléchir à chacune d’entre elles avant de choisir de me concentrer sur une seule. Parfois il m’arrive de commencer de travailler sur un script avant de réaliser qu’il ne se présente pas tout à fait comme je le voulais. Je m’arrête alors et je travaille sur un autre projet. Mais si tout se passe comme je l’avais imaginé, alors je travaille plutôt rapidement. Disons qu’il me faut entre un et deux mois, parfois même moins d’un mois pour tout boucler. Le temps est donc important ? Y. Y. : Oui très important. C’est un peu comme un vin que l’on conserve dans une cave. Il faut attendre le bon moment pour ouvrir les bouteilles. Parfois lorsque vous attendez trop longtemps, vous vous rendez compte que l’histoire n’est plus aussi intéressante que vous le pensiez initialement. Mais si une histoire est vraiment bien, elle le restera à jamais. Au niveau du scénario, vous avez beaucoup travaillé avec Asama Yoshitaka… Y. Y. : En effet, nous avons travaillé ensemble jusqu’en 2004 sur Le Samouraï du crépuscule. A cette époque, il est tombé malade et j’ai commencé à collaborer avec Hiramatsu Emiko. Comment travailliez-vous avec lui ? Y. Y. : Très bien. Nous étions très complémentaires. Vous savez, lorsque vous avez ce genre de relation, il est indispensable de partager le même point de vue. Si vous devez vous opposer sur chaque idée, la plupart du temps, vous n’aboutissez à rien. Il faut avoir la même approche et avoir envie de partager le travail et les responsabilités. C’est un peu comme un attelage. Chaque cheval doit travailler en harmonie avec les autres et déployer la même vigueur. Bien sûr, au cinéma, il faut...
