L'heure au Japon


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Parution dans le n°120 (mai 2022)

Kishi Toshihiko a entre autres dirigé un dictionnaire historique sur la Mandchourie qui fait référence. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Bien que l’intérêt pour ce sujet décline avec le temps, l’historien Kishi Toshihiko continue de battre le fer. Que reste-t-il aujourd’hui des relations du Japon avec la Mandchourie, cette région chinoise qui, il y a 90 ans, a occupé une place cruciale dans son histoire ? Pour éclaircir le “mystère mandchou”, Zoom Japon s’est tourné vers le professeur KishiToshihiko, chercheur au Centre d’études de l’Asie du Sud-Est de l’Université de Kyôto, dont les recherches portent sur l’histoire de l’Asie au XXe siècle, les études régionales de l’Asie de l’Est et l’étude des médias. Avez-vous le sentiment que les Japonais ont une quelconque connaissance de l’histoire de la Mandchourie sous occupation japonaise ?Kishi Toshihiko : Je dois reconnaître que l’intérêt pour l’histoire de la Mandchourie est faible. Tout d’abord, le nombre de personnes ayant une expérience directe de cette période est en forte diminution, et la plupart des générations d’après-guerre savent très peu de choses sur la Mandchourie et le Mandchoukouo. Pour les jeunes générations, non seulement le Mandchoukouo, mais aussi l’histoire d’avant-guerre et les souvenirs liés à la guerre sont considérés comme un passé lointain. D’autre part, en ce qui concerne les chercheurs et le monde de l’édition, les jeunes générations ont tendance à aborder la réalité de la Mandchourie sous l’angle du post-colonialisme et du colonialisme moderne. Je pense que ceux dont les parents (par exemple, leurs grands-parents) ont vécu en Mandchourie, et les deuxième et troisième générations d’orphelins restés en Chine après la guerre, sont particulièrement intéressés. C’est pourquoi, en tant que chercheurs, nous essayons de trouver des moyens de transmettre ces souvenirs aux générations suivantes. Je me demande ce que les étudiants de l’université de Kyôto pensent de ce sujet.K. T. : On peut dire que nos étudiants sont un peu différents des autres jeunes de leur âge. Tout d’abord, ils sont très bien informés et s’intéressent beaucoup à ce sujet et à d’autres thèmes similaires. En outre, comme vous le savez, alors que l’Université de Tôkyô a une approche plus orthodoxe de l’histoire, nous faisons les choses différemment et nos étudiants ont tendance à sortir des sentiers battus. Ils trouvent ici l’endroit idéal pour poursuivre leurs intérêts, car l’université de Kyôto est au cœur de la recherche sur les études mandchoues. Cette année marque le 90e anniversaire de la fondation du Mandchoukouo. Que pouvons-nous apprendre de ce chapitre de l’histoire du Japon ?K. T. : L’État du Mandchoukouo a duré 13 ans, de 1932 à la fin de la guerre. Cette période a connu de nombreux bouleversements, mais il ne fait aucun doute que les groupes d’intérêt à l’origine de la création de cet État fantoche (le gouvernement japonais, l’armée du Kwantung, le monde des affaires) avaient pour objectif de créer une nation expérimentale contrôlée par l’État qui deviendrait plus tard un modèle de premier plan pour la mise en place du système de mobilisation nationale du Japon lorsque la guerre du Pacifique a éclaté en 1941 ; une société dotée d’une économie contrôlée par l’État et d’un système de censure strict né de la relation étroite entre les entreprises, l’élite politique et l’armée. Je pense que l’expérience du Mandchoukouo est une bonne étude de cas dont nous pouvons tirer de nombreux enseignements sur les Etats autoritaires et les dictatures à parti unique d’aujourd’hui. A cet égard, les recherches portant sur le développement du Mandchoukouo peuvent nous aider à comprendre le fonctionnement des systèmes politiques et sociaux de la Chine et de la Russie. Quelle fut la motivation du Japon pour envahir la Mandchourie ?K. T. : Les Japonais ont tendance à obéir aux ordres et à suivre ce qui vient d’en haut. Les figures d’autorité sont traitées avec déférence, et ce qu’elles disent est souvent accepté sans critique et devient un slogan derrière lequel les gens se rallient. Dans ce cas particulier, trois jours avant l’incident de Mukden, Matsuoka Yôsuke a proclamé que “la Mandchourie est la ligne de vie de notre pays”. Ancien directeur adjoint de la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud (Mantetsu), ses propos ont joué un rôle décisif dans la détermination de la suite des événements en Chine. Il est devenu le porte-parole de tous les groupes qui considéraient la Mandchourie comme la nouvelle frontière du Japon : les élites politiques et commerciales, par exemple, visaient à acquérir des ressources et à développer l’industrie chimique lourde du pays ; l’armée voulait renforcer les défenses du Japon contre le communisme soviétique et la République de Chine, et la bureaucratie prévoyait de mettre sur pied une économie dirigée comme en temps de guerre. Les élites n’étaient pas les seules à considérer favorablement l’expansion en Mandchourie. Les médias, qui luttaient pour exister sous le régime de la censure, voyaient dans l’expansionnisme japonais en Mandchourie un moyen d’accroître leur lectorat. De même, les travailleurs salariés rêvaient de gagner des salaires élevés en travaillant à l’étranger pour la Mantetsu et d’autres entreprises. Plus généralement, de nombreux Japonais étaient animés par le désir de voir leur pays emboîter le pas des Etats impérialistes occidentaux. C’était une époque où pratiquement tout le monde croyait que le Japon avait raison, et chacun était désireux de soutenir une telle politique étrangère. Cette mentalité a duré jusqu’à la défaite. Je suppose que les attentes des Japonais en matière d’emplois et de nouvelles opportunités économiques ont joué un rôle décisif ?K. T. : Il faut garder à l’esprit qu’après le krach de 1929, l’économie mondiale a fortement été ébranlée. Dans les années 1930, le Japon avait un taux de chômage élevé, conséquence de la terrible récession, et tout le monde voulait que les choses s’améliorent rapidement. Jusqu’au début des années 1920, il y avait eu une forte émigration japonaise. Cependant, aux États-Unis, elle a pris fin en 1924, lorsque le Congrès a adopté la loi sur l’immigration, interdisant l’entrée du pays aux émigrés japonais, à l’exception d’un petit nombre symbolique. Ensuite, les migrants japonais se sont tournés vers l’Amérique latine, et beaucoup se sont installés au Mexique, au Brésil et au Pérou, mais la détérioration de la situation politique dans le monde a rendu ce mouvement de population de plus en plus difficile. En fin de compte, seule la Mandchourie est restée. C’est pourquoi, dans les années 1940, tant de Japonais étaient impatients de se rendre en Chine. Quel rôle la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud a-t-elle joué ?K. T. : Loin d’être uniquement une société de transport, la Mantetsu était également impliquée dans d’autres aspects de la vie économique, culturelle et politique de la Mandchourie. Elle était notamment responsable de la production d’électricité (charbon, gaz naturel et pétrole) et du transport de produits de base tels que le soja et le blé, et s’efforçait de former des ressources humaines pour ses activités. Elle était également un puissant institut de recherche, contribuant au développement technologique dans des domaines tels que l’industrie chimique, l’agriculture et la construction. A l’époque, elle opérait également comme société de commerce et maître d’ouvrage. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il s’agissait d’une énorme entreprise de publicité. En effet, on pourrait dire que l’image du Mandchoukouo que les gens ont jusqu’à aujourd’hui a été principalement façonnée par la Mantetsu en collaboration avec le personnel militaire et les bureaucrates. La société des chemins de fer de Mandchourie du Sud a joué un rôle clé dans l’expansionnisme nippon. / Manchukuo Propaganda Posters & Bills, Prof. Toshihiko Kishi’s Laboratory, Kyoto University A en juger par ce que vous venez de dire, la Mantetsu a sans doute eu une grande influence sur la politique japonaise ?K. T. : Comme je l’ai mentionné précédemment, les partis politiques et l’armée au Japon avaient les mêmes intérêts, et la Mantetsu est devenue une sorte de courtier, entre ces deux cliques influentes. Après l’incident de Mukden en septembre 1931, le cabinet dirigé par le leader du Parti démocrate constitutionnel, WakatsukiReijirô, a démissionné après avoir échoué à contrôler l’armée et à arrêter son avancée en Mandchourie. Son successeur, Inukai Tsuyoshi,était beaucoup plus proche des militaires et a grandement fait évoluer la position du gouvernement vis-à-vis ...

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