L'heure au Japon

Parution dans le n°47 (février 2015)

Pour la cinéaste Yang Yong-hi, son récit familial lui permet d’aborder de front la question des zainichi. Issue de la deuxième génération des zainichi, les immigrés coréens au Japon, la réalisatrice et auteur Yang Yong-hi offre un point de vue unique sur les relations nippo-coréennes à travers le destin tourmenté de sa famille, coupée en deux entre Osaka et Pyongyang. Née en 1964, ce petit bout de femme à la forte tête a grandi à Osaka sous l'égide patriotique de son père, ardent communiste et membre de la Chongryon, une organisation controversée d'aide aux Nord-Coréens résidant au Japon. Alors qu'elle a 6 ans, ses trois frères, agés de 14, 16 et 18 ans, sont envoyés par leur père à Pyongyang dans le cadre du "programme de rapatriement", une propagande instaurée à partir de 1959 au Japon pour inciter les zainichi à partir en Corée du Nord. Ses frères ne reviendront pas. De ce traumatisme naît un premier documentaire, Dear Pyongyang (2005) qui retrace le voyage de ses parents en visite à Pyongyang et ses débats politiques passionnés avec son père. Sorti en 2010,  Itoshiki Sona (Sona, un autre moi) raconte le quotidien de la famille : sa mère, fidèle patriote, mais mère avant tout, envoie depuis 30 ans des paquets de nourriture japonaise et de l'argent à ses fils, dont l'un d'eux a eu une petite-fille, Sona. Yang Yong-hi filme avec délicatesse l'innocence et  l'inévitable endoctrinement de sa nièce élevée à Pyongyang, et qui aurait pu être son double. Interdite de séjour en Corée du Nord après le tournage en 2006, la réalisatrice ne reverra pas Sona ni ses frères, sauf l'un d'eux, autorisé à revenir au Japon après 25 ans pour soigner une tumeur. Ce retour inespéré, miraculeux, inspire en 2012 le premier long-métrage de Yang Yong-hi, Kazoku no kuni (Our homeland) dont le titre traduit littéralement signifie “le pays de la famille”. Primé au festival international du film de Berlin, ce film concentre toute la tendresse et la déchirure d'une sœur condamnée à vivre séparée de ses frères à cause d'une aberration de l'Histoire. Enfer où habitent les êtres chers, la Corée du Nord devient véritablement à travers le regard de Yang Yong-hi, “le pays de la famille”. Rencontrée à Tôkyô, Yang Yong-hi parle d'une voix fragile et sans jugement de sa Corée du Nord. Sujet occulté depuis l'après-guerre jusqu'à nos jours, la communauté coréenne au Japon représente pourtant, selon la réalisatrice, une clé essentielle pour comprendre le Japon. Vos frères sont partis dans le cadre d'un programme de rapatriement instrumentalisé par Pyongyang mais aussi par Tôkyô ? Yang Yong-hi : Cela semble impensable aujourd’hui, mais à l'époque, le Parti communiste japonais était très influent et a pu convaincre des milliers de Coréens qui souffraient de discriminations, que la Corée du Nord était un “paradis sur terre” où ils trouveraient du travail et un logement gratuit. Cette propagande a été instrumentalisée par la Croix rouge et tous les médias japonais dans le cadre d'une politique d'émigration massive : il s'agissait pour le Japon de chasser le plus de Coréens possible. Du côté de Pyongyang, faire venir de la main-d'œuvre avec un pouvoir d'achat bien supérieur à la moyenne du pays constituait un enjeu économique de taille. Quand mes frères sont partis, j'avais 6 ans. Je les ai accompagnés jusqu'au ferry et après je ne me souviens plus de rien. J'ai eu de la fièvre pendant une semaine, je délirais. Ça a été un véritable traumatisme. J'adorais...

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