L'heure au Japon

Parution dans le n°119 (avril 2022)

Pour Itô Gaichi, cette tendance au repli sur soi trouve ses racines dans le passé du pays. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Pour l’écrivain Itô Gaichi, l’esprit de fermeture reste profondément incrusté, en particulier chez les plus âgés. Bien avant que la pandémie de Covid-19 ne fasse des ravages dans nos vies, le Japonétait devenu l’une des destinations touristiques les plus prisées au monde, attirant des millions de touristes chaque année. Cependant, il fut une époque, du début du XVIIe siècle jusqu’à 1853, où très peu d’étrangers étaient autorisés à entrer au Japon. Cette politique étrangère isolationniste est connue sous le nom de sakoku ou “pays fermé”. Zoom Japon s’est entretenu avec Itô Gaichi, conférencier et écrivain, sur cette notion à travers l’histoire du Japon. Le sakoku semble être un concept populaire au Japon.Itô Gaichi : Il faut avoir à l’esprit que, par le passé, des politiques isolationnistes étaient appliquées même à l’intérieur du pays. Je veux dire que dans tout le Japon, chaque domaine féodal était isolé et que les déplacements sur de longues distances étaient très difficiles et réglementés par des lois strictes. Aujourd’hui, nous sommes presque revenus à cette même situation. La pandémie n’a pas seulement rendu les relations avec l’étranger presque impossibles, surtout depuis et vers le Japon. Même visiter d’autres préfectures est difficile. Bien sûr, il n’y a pas de véritables frontières ou barrières comme à l’époque d’Edo (1603-1868), mais les gens ont maintenant tellement peur du virus que les visiteurs d’autres préfectures ne sont plus les bienvenus. Je voyage souvent pour mon travail, et lorsque je suis allé récemment dans le Tôhoku (nord-est du Japon), j’ai reçu un accueil très froid. Bien qu’ils ne l’aient jamais dit ouvertement, leur attitude était du genre : “Pourquoi êtes-vous venu ici ?” C’était presque comme si le virus était arrivé. En un sens, à l’heure actuelle, une société sans frontières ne survit que grâce à Internet. En général, l’isolement national ou l’autocratie ne sont pas vus d’un bon œil. Cependant, pendant la période Edo, le Japon a pu prospérer, du moins à certains égards. Pourquoi ?I. G. : Tout d’abord, l’origine du mot sakoku se retrouve dans les écrits d’Engelbert Kaempfer, un médecin allemand qui voyagea au Japon au XVIIe siècle. Lorsque, en 1801, l’astronomeSuzuki Tadao a traduit une partie de ses écrits, il a forgé le terme “sakoku”. Toutefois, à l’époque d’Edo, le Japon n’était pas aussi isolé que le mot le laisse entendre. En fait, le shogunat d’Edo gardait le contact avec le monde extérieur à travers quatre endroits différents :– Nagasaki était sous le contrôle direct du shogunat et était également le plus important de ces lieux. On y faisait du commerce avec les Hollandais de la Compagnie des Indes orientales, (voir Zoom Japon n°87, février 2019) bien qu’il n’y ait pas de relations diplomatiques officielles avec les Pays-Bas.– Tsushima était le seul endroit où le clan féodal local était autorisé à commercer avec la Corée. Tsushima est l’île la plus proche de la péninsule coréenne et faisait du commerce avec la Corée depuis la période Muromachi (1336-1573). A cette époque, le shogun et le roi de Corée entretenaient une sorte d’échange diplomatique, et une délégation coréenne s’était même rendue à Edo.– Le domaine de Satsuma (l’actuelle préfecture de Kagoshima) était le point de contact avec le royaume des Ryûkyû (l’actuelle préfecture d’Okinawa, voir Zoom Japon n°118, mars 2022). Le clan Shimazu a envahi les Ryûkyû en 1609 et a établi des relations commerciales avec le royaume et, indirectement, avec la Chine.– Le domaine des Matsumae à Ezo (Hokkaidô, voir Zoom Japon n°78, mars 2018) a été autorisé par le shogunat à commercer avec la population locale, les Aïnous, avant que l’île ne soit annexée par le Japon au XVIIIe siècle.En d’autres termes, tout en étant officiellement isolé, le Japon des Tokugawa avait en fait des échanges avec les Pays-Bas, la Chine, la Corée, les Ryûkyû et Ezo.Pour en revenir à votre question, le Japon de la période Edo a réussi à prospérer parce que le shogun a imposé la Pax Tokugawa. Pendant plus de 250 ans, le Japon n’a été impliqué dans aucun conflit international. C’est comme si vous habitiez en centre-ville et que vous décidiez de ne pas sortir de votre copropriété pour éviter d’avoir à faire face à toute la folie qui se passe à l’extérieur (rires). Dans le même temps, les autorités ont pu contrôler les quelques personnes qui ont réussi à entrer dans le pays et décider si leur présence avait une influence positive ou négative sur le Japon. C’est pourquoi, par exemple, le christianisme a été interdit.Quant à l’effet du sakoku sur le pays, je pense que le plus important a été l’éclosion d’une culture vraiment unique et originale. Pensez ...

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