
Depuis quelques années, les Japonais privilégient de plus en plus les secondes mains. Une évolution remarquable. Il est 16 h dans le quartier bohême de Shimokitazawa. Ici, au Nord-Ouest de Tôkyô, les friperies sont reines. On vient chiner une sape, qui a du style, sans se ruiner. Mais malgré tout, pas question pour autant de devoir fouiller dans des tas de vêtements posés sur des tréteaux. Non, à Shimokitazawa, ces boutiques de seconde-main ressemblent à s'y méprendre à celles qui vendent du neuf. Exemple de l'une d'elles, Stick out. Tous les vêtements proposés, qu'ils s'agissent de chemises, pulls, jeans, tee-shirts, sont au tarif unique de 700 yens [5, 80 €]. Jour férié oblige, le magasin est bondé. “Je viens souvent ici, explique un résident du quartier d'une quarantaine d'années. Je trouve toujours des jeans sympas. Et même des marques. Pour tout vous dire, la quasi-totalité de ma garde-robe vient d'ici. Je suis salarié mais je n'ai pas de gros moyens donc j'y trouve mon compte.” Disposés sur des cintres, les vêtements sont présentés sur des portants, et les vendeurs conseillent, comme dans n'importe quel autre magasin. Jusque très récemment, les magasins d'occasion étaient considérés comme des lieux démodés, peu soignés et sans garantie de repartir avec un produit de qualité. Mais ça c'était avant. “En japonais, le terme mottainai (もったいない) renvoie à un sentiment de regret concernant le gâchis, explique un porte-parole du groupe Book Off, figure de proue de ce marché grandissant. L’une des images qui illustre le plus ce principe reste le fait qu'il est impoli de laisser un grain de riz au fond de son bol : par respect, on ne jette pas. Qu’il s'agisse de nourriture ou d'un objet qui pourrait encore servir.” Le mottainai décrit le gâchis aussi bien physique que figuré. Le terme avait été internationalisé, par la Kenyane Wangari Muta Maathai, première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix en 2004 dans le cadre de son combat pour la protection de l'environnement et ses ressources, ainsi que pour les droits des femmes. Bien que toujours présent dans la culture japonaise, “le mottainai a été négligé ces dernières décennies, complète Garan Mitsujirô, directeur des publications The Japan Journal of Remodeling et The Re-use business journal. A l'époque de la bulle économique, le Japon a oublié ce principe. Tout le monde avait de l'argent et a commencé à vouloir du neuf à tout prix. L’éclatement de la bulle financière a changé la donne. Les jeunes générations ont des budgets plus serrés. Elles sont obligées de faire attention. Elles reviennent à des valeurs traditionnelles.” L’histoire de ce nouveau marché de l'occasion a justement commencé avec Book Off. Sakamoto Takashi a l'idée d'ouvrir une boutique qui permettrait de proposer des livres d'occasion à moindre prix dans un magasin de qualité. Nous sommes en 1991. L’homme, alors âgé de 49 ans, lance la toute première boutique du groupe. “Contrairement au furuhon-ya, ces bouquinistes qui vendent des livres d'occasion rares, comme dans le quartier de Jimbochô, à Tôkyô par exemple, nul besoin d'être un connaisseur pour se rendre chez Book Off, explique le porte-parole...
