L'heure au Japon

Parution dans le n°132 (juillet 2023)

Gotô Tomomi a étudié le rôle crucial joué par l’okami dans la gestion des ryokan. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon C’est sur l’okami, personnage central de l’auberge traditionnelle, que repose la bonne réputation de l’établissement. La qualité du service à la clientèle est l’un des principaux charmes des ryokan, et l’okami, la gérante, y joue un rôle important. Elle est généralement l’épouse du propriétaire ou une femme propriétaire elle-même et porte généralement des vêtements japonais pour servir les clients. Avec le temps, l’image publique de l’okami a évolué et s’est adaptée à un marché touristique en mutation, devenant un objet de curiosité et de fascination sans fin. Zoom Japon s’est entretenu de cette évolution avec Gotô Tomomi, chercheuse à l’Institut national de recherche sur les biens culturels de Tôkyô, qui a publié l’année dernière un passionnant ouvrage intitulé Ryokan okami no tanjô [Naissance de l’okami, Fujiwara Shoten, inédit en français]. Si le ryokan est une institution séculaire, l’image que nous en avons aujourd’hui est relativement récente, puisqu’elle n’a commencé à émerger qu’au milieu des années 1960 et qu’elle est devenue une représentation emblématique de l’hospitalité japonaise traditionnelle dans les années 1980. Pouvez-vous me parler de cette évolution ? Comment et pourquoi est-elle devenue si populaire dans l’imaginaire japonais ?Gotô Tomomi : Depuis sa création, le ryokan est principalement une entreprise familiale, et tous les membres de la famille - hommes et femmes - ont apporté leur contribution. De plus, pendant de nombreuses années, ces auberges traditionnelles n’étaient que des lieux d’hébergement où les voyageurs s’arrêtaient au cours de leur voyage, et leur principale fonction était d’offrir un endroit où dormir et prendre un repas. Cependant, depuis les années 1960, l’industrie hôtelière s’est diversifiée, notamment avec l’apparition de ryokan plus grands, disposant de nombreuses chambres et d’un personnel nombreux. Dans le même temps, le ryokan s’est peu à peu transformé en un lieu où les gens ne passent pas seulement une nuit sur le chemin de leur destination, mais où ils se rendent pour profiter d’un service de qualité supérieure, d’une cuisine de haute qualité et d’un bon bain chaud. Dans ces circonstances, afin de renforcer la marque unique d’hospitalité du ryokan, les femmes employées ont pris une place prépondérante et la femme du propriétaire a acquis une position particulière. On pourrait donc dire que l’évolution récente de la figure de l’okami a été dictée par des besoins de marketing visant à améliorer l’image du ryokan et à le distinguer des hôtels de style occidental. Outre le travail sur le terrain et les entretiens avec des personnes travaillant dans des ryokan, vous avez mené votre recherche en analysant l’image de l’okami telle qu’elle apparaît dans les magazines de voyage. Quel rôle les médias ont-ils joué dans l’amplification de cette image ?G. T. : Ce sont les professionnels du secteur, ceux qui gèrent les ryokan, qui ont vu une opportunité dans l’utilisation de l’okami comme moyen d’attirer plus de clients. Après avoir étudié comment l’utiliser pour améliorer leur image, ils l’ont intégré dans leur stratégie de gestion et se sont efforcés de le faire savoir. Les médias, quant à eux, ont toujours été ce que l’on pourrait appeler un amplificateur ou un médiateur entre l’industrie du tourisme et des voyages d’une part et le grand public d’autre part. Ils sont toujours à la recherche de nouvelles tendances pour attirer l’attention de leurs lecteurs. Même dans ce cas, ils ont compris que l’okami avait un fort potentiel commercial et ont commencé à présenter ces femmes de manière régulière dans leurs publications. A cette époque, l’économie japonaise était en plein essor, de plus en plus de gens avaient de l’argent à dépenser et, dans les années 1980, ils étaient désireux de voyager et de s’amuser. Finalement, une image plus ou moins figée de l’okami est apparue et a contribué au succès croissant des auberges.En ce qui concerne les médias, les feuilletons télévisés ont également largement contribué à populariser cette image auprès d’un grand nombre de personnes. D’après mes recherches, par exemple, il semble que toutes les œuvres sur le thème du ryokan basées sur les romans deHanato Kobako aient été extrêmement populaires en renforçant le charme de l’okami. Aujourd’hui encore, de nombreux Japonais sont fascinés et attirés par l’atmosphère traditionnelle et nostalgique des ryokan, surtout lorsqu’on les compare aux hôtels de style occidental, et l’okami joue un rôle clé dans le renforcement de cette image. Il s’agit d’un personnage assez unique, que l’on ne trouve guère ailleurs.G. T. : C’est vrai. Si l’on considère la personne chargée du service à la clientèle, l’équivalent de l’okami dans l’hôtel occidental est le manager qui, le plus souvent, est un homme et porte bien sûr un costume. En revanche, lorsque vous arrivez dans une auberge de style japonais, vous êtes accueilli par des femmes portant un kimono - non seulement l’okami, mais aussi le reste du personnel féminin, que l’on désigne sous le nom de nakai. Le kimono fait appel à une certaine sensibilité japonaise, car il fait partie de notre culture, de nos souvenirs et de notre imagination. Entrer dans un ryokan, c’est comme remonter le temps et redécouvrir des vues et des odeurs que nous avons largement oubliées.En ce sens, les hommes âgés semblent particulièrement attachés à ces images et charmés par les okami. Elles semblent toutes avoir une place spéciale dans leur cœur. Mon livre, par exemple, a été publié par Fujiwara Shoten, et j’ai entendu de nombreuses histoires de ce type de la part du président de la société, Fujiwara Toshio. Il se souvient particulièrement bien des nombreuses fois où il a séjourné dans un ryokan, et l’okami à l’ancienne semble toujours y jouer un rôle essentiel. De nos jours, cette image connaît un processus de modernisation progressive, mais ses principales caractéristiques sont toujours présentes. Peut-être est-ce la forte présence des femmes dans les ryokan qui les rend populaires auprès d’une clientèle masculine ?G. T. : Le ryokan est certainement un lieu de travail éminemment féminin, et ce sont les femmes qui s’occupent principalement des clients. Des données statistiques montrent que les femmes ont tendance à être...

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