L'heure au Japon

Parution dans le n°152 (juillet-août 2025)

Agriculteurs à Yokone (Chiba) - Gibier chassé dans un garage

A Chiba, plusieurs initiatives ont permis de ranimer certains lieux menacés de disparition. A Yokone, deux agriculteurs font la chasse aux animaux qui occupent de plus en plus le terrain. / Nagoshi Keisuke pour Zoom Japon Imaginer que, dans deux ou trois ans, son village sera peuplé non plus d'humains mais de bandes de singes, de sangliers et de cerfs est digne d’un scénario de film d'animation. C’est pourtant ce qui attend environ 23 000 villages au Japon, dont plus de 50 % des habitants a plus de 65 ans. On les appelle les “villages seuil”. Le hameau de Yokote, situé dans la préfecture de Chiba, à 80 km à l’est de Tôkyô, est un dans de ces villages voués à disparaître. Mais l’arrivée de nouveaux habitants attirés par le bas prix des akiya a redonné une lueur d’espoir aux villageois. Ensemble ils ont décidé de réinventer l’avenir de ces campagnes avec une priorité : lutter contre la prolifération des animaux sauvages, mais également le gaspillage. Devant le centre communautaire de Yokone, Kaneki Ikuo et son ami Kawana Shigeo font le décompte de leurs récoltes. “Une biche, un muntjac, deux sangliers”, énumère le premier d’une voix monotone. Ces deux agriculteurs octogénaires ont été obligés de se transformer en chasseur pour protéger leurs cultures, mais aussi leurs maisons de l’assaut fatal des animaux sauvages. “Le problème est apparu dans les années 2000 et n’a fait qu’empirer. A présent, tous les matins on tue des animaux. Quand on en aura plus la force, ça sera terminé”, affirme Kaneki Ikuo d’un ton las. Ancien conseiller municipal, ce dernier a créé une coopérative en 2002 avec une quinzaine d’hommes du village. “On a construit nous-mêmes près de cinquante cages reliées à du courant électrique. Mais ça n’a pas suffi”. Il cultivait un champ de bambou qui est tombé à l’abandon. Cette année, il a essayé de sauver sa dernière culture de narcisses, mais en vain. “On a aussi abandonné la rizière. Elle a été bouffée comme le reste”. La récolte de biwa, le néflier du Japon, fameuse dans la péninsule de Bôsô (voir Zoom Japon n°70, mai 2017), a été mangée par les singes. “Tous les ans, des centaines de villages disparaissent mais le gouvernement ne trouve pas de solution à long terme.” Dans la préfecture de Nagano, les autorités ont installé des capteurs dans les champs pour effrayer les animaux et avertir les agriculteurs par mails. Mais ce système fonctionne avec un réseau dont beaucoup de villages ne sont pas dotés. Outre les coûts exorbitants de mise en œuvre, ce système n’a aucune incidence sur la diminution du nombre des animaux. On dénombre environ 880 000 sangliers rien que sur les îles de Honshû et Shikoku.“Ils sont devenus tellement nombreux qu’ils vivent dans les akiya, qui deviennent inhabitables, et poussent d’autres habitants à partir du village. C’est un cercle vicieux”. Kaneki Ikuo reçoit des indemnités pour abattre les animaux, mais ne les mange pas. “On n’a pas l’habitude de manger du gibier ici. Et à chaque fois que je tue un animal, j’ai un sentiment terrible de gâchis”, avoue-t-il en soulevant cet autre dilemme : seulement 5,4 % des sangliers abattus sont consommés au Japon. “A l’ère Edo (1603-1868), la consommation du gibier était interdite, car on considérait que les bêtes sauvages étaient impures”, explique Oki Kôji qui gère le Tateyama Gibier Center à Tateyama. La ville située à la pointe de la péninsule de Bôsô et célèbre pour son point de vue sur le mont Fuji, a décidé de promouvoir la consommation de viande de sanglier tout en installant en 2023 le premier incinérateur géant capable de contenir jusqu’à douze sangliers. Une initiative pour alléger la charge de travail des chasseurs âgés tout en encourageant les jeunes à prendre des permis de chasse et vendre du gibier. “Nous organisons de plus en plus d’ateliers pour apprendre comment cuisiner le gibier : dépecer l’animal dans l’heure pour éviter que l’acidité des intestins imprègne la chair, cuire la viande à feu très doux. C’est succulent quand c’est bien préparé !” Malgré une augmentation de la consommation de viande de sanglier de 30 % à Tateyama ces deux dernières années, l’avenir de la région est encore sombre. Rien que dans cette région, les dégâts en 2020 s’élevaient à 21,16 millions de yens [128 000 euros]. “Il faut beaucoup plus de chasseurs mais l’Etat offre une indemnité de seulement 16 000 yens [96 euros] par sanglier, ce qui est ridicule par rapport au temps que cela prend, sans parler du danger”, rappelle Oki Kôji qui souhaite mettre en place une navette pour aller chercher les carcasses de parfois 100 kg et les ramener au Tateyama Gibier Center. En 2022, le club Super Deluxe a quitté la capitale pour s’installer à Kamogawa dans une maison à saké. / Nagoshi Keisuke pour Zoom Japon “Ce genre d’initiative génère non seulement des revenus, mais aussi...

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