
Il représente le personnage clé de Yamada Yôji. Kuruma Torajirô incarne le Japon éternel. "L’homme rit avec son visage, pleure avec son ventre”, chante Atsumi Kiyoshi (1928-1996), alias Tora-san, le personnage autour duquel est construit tout l’univers d’Otoko wa tsuraiyo [C’est dur d’être un homme] que Yamada Yôji va décliner durant plus d’un quart de siècle, au gré des quarante-huit films que compte la série éponyme. Dès que cette chanson (paroles de Hoshino Tetsurô, musique de Yamamoto Naozumi, deux artistes bien connus des Japonais) qui accompagne le générique de chacun des films de la série se fait entendre, le public japonais se retrouve instantanément en terrain connu, dans le monde, ô combien attachant, de Tora-san le fûten, le vagabond aux quarante-huit chagrins d’amour (un par film…). Car qui dit Yamada Yôji dit bien sûr Tora-san ; et qui dit Tora-san dit Atsumi Kiyoshi. Cette triade, née au départ d’une série télévisée répartie en 24 épisodes (1968-1969), prend véritablement forme en août 1969, date de la sortie de la première version filmée et va durer jusqu’en 1995, année qui précède le décès de l’acteur. Comme le souligne Yamada Yôji lui-même dans une interview de 2011, Otoko wa tsuraiyo est l’œuvre d’une vie, un lifework selon ses propres termes. Que l’on apprécie ou non le cadre dans lequel se situent invariablement les péripéties du héros, celui du ninjô-kigeki, de la comédie sentimentale, on ne peut difficilement contester ceci: se dresse devant nous une œuvre, au sens fort du terme, proprement monumentale. Par ailleurs, rôle d’une vie, le personnage de Tora-san finit au fil des ans par se confondre avec Atsumi Kiyoshi, l’acteur, mais aussi l’homme. Atsumi est Tora-san, et inversement ; par l’intensité de l’identification, on est loin par exemple de la figure d’un James Bond, dont le visage se trouve associé à différents acteurs, de Sean Connery à Pierce Brosnan en passant par Roger Moore. C’est sur l’investissement sans commune mesure de Yamada Yôji et d’Atsumi Kiyoshi dans cette œuvre, soutenue par des acteurs exceptionnels — entre autres, Baishô Chieko qui joue Sakura, la sœur de Tora-san, dans toute la série, et le grand Ryû Chishû (le grand-père du Voyage à Tôkyô d’Ozu) qui est de l’aventure du premier au quarante-cinquième film — que repose la popularité jamais démentie de la série Tora-san. Mais tout cela ne serait rien sans la figure centrale de Tora-san. Le génie de Yamada Yôji a été d’inventer cet anti-héros et de l’avoir fait incarner par Atsumi Kiyoshi, à un moment — nous sommes à la fin des années soixante — où Ôshima Nagisa, placé sous l’égide de l’ATG (Art Theatre Guild), s’impose comme le chef de...
