L'heure au Japon

Parution dans le n°52 (juillet 2015)

A une vingtaine de kilomètres de Hiroshima, on célèbre chaque année l’esprit du pinceau. Sous le crachin matinal, une douzaine d’hommes et de femmes font la queue devant un monticule en forme d’autel de pierre où un petit feu crépite. Chacun à leur tour ils jettent une poignée de vieux pinceaux dans le brasier. N’allez pas croire qu’il s’agit d’une collecte de déchets à brûler. Vous assistez là à une crémation rituelle.  “C’est pour honorer l’âme des pinceaux, pour le travail qu’ils ont accompli”, explique un homme. Tous les vieux pinceaux du Japon sont envoyés ici pour achever leurs derniers jours. Le bûcher aux pinceaux est un des moments clés du Fude matsuri ou Fête des pinceaux qui se déroule à Kumano, ville montagneuse située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Hiroshima. L’événement se déroule le 23 septembre, jour de l’équinoxe d’automne, férié au Japon. On dit que c’est le moment où l’âme des morts redescend sur terre pour une petite visite. Pour ceux d’entre nous pris dans le tourbillon de la vie moderne qui ne donne guère le temps de montrer de la gratitude aux personnes et encore moins aux objets inanimés, le respect que les habitants de Kumano accordent aux humbles pinceaux peut sembler étrange. Mais, dans un pays où les dieux sont censés habiter dans les rochers, les arbres et les rivières, il n’est pas surprenant que l’esprit du pinceau soit aussi présent à Kumano. Après tout, la cité est presque entièrement dépendante de son industrie du pinceau pour la calligraphie. Près du bûcher aux pinceaux se dresse la tablette en pierre de Fudezuka, monument le plus emblématique de Kumano, qui célèbre ses premiers fabricants de pinceaux. On peut y lire qu’“un pinceau danse au rythme du cœur”. Kumano est un des rares exemples de villes dont le nom est devenu une marque, synonyme de qualité pour ses pinceaux. Sur les 27 000 habitants de la cité, 1 500 d’entre eux sont des fude-shi ou des artisans producteurs de pinceaux. La ville produit le chiffre étonnant de 15 millions de pinceaux par an, soit 80 % de la production totale japonaise. Le gouvernement a d’ailleurs reconnu l'industrie locale du pinceau comme un art industriel traditionnel. Un label qui a son importance. Quand l’équipe nationale féminine de football a remporté la Coupe du monde en 2011, le Premier ministre d’alors, Kan Naoto, a offert à ses membres des pinceaux à maquillage. Le Secrétaire général du gouvernement, Edano Yukio, a expliqué que ces pinceaux étaient “la vitrine de l’artisanat traditionnel et de la puissance d’une marque globale”. “Tout a commencé il y a environ 175 ans, vers la fin de l’époque d’Edo (1603-1868)”, explique Takemori Shin, président de Chikuhôdô, une des 80 entreprises familiales de fabrication de pinceaux fondée en 1952. “Nous vivons dans une région montagneuse où il y a peu de plaines pour l’agriculture. Il était donc très difficile de survivre en hiver. Pour joindre les deux bouts, beaucoup d’hommes avaient l’habitude de se rendre à Nara pour travailler dans l’industrie forestière. Ils y achetaient des pinceaux à calligraphie qu’ils revendaient ensuite quand ils rentraient à Kumano”, ajoute-t-il. Vers 1840, quelques agriculteurs entreprenants ont décidé d’apprendre à fabriquer eux-mêmes des pinceaux. Ils ont combiné plusieurs techniques apprises au cours de leurs déplacements pour finir par développer une méthode originale que l’on ne trouve désormais qu’à Kumano. En 1877, l'introduction de l'enseignement obligatoire, y compris celui de la calligraphie, a entraîné une augmentation de la demande pour les pinceaux de calligraphie. Comme les ventes ont grimpé, la réputation des pinceaux de Kumano a commencé à se répandre. C’est comme cela que la marque est née. Ces dernières décennies, pour répondre à la baisse de la demande concernant les pinceaux de calligraphie, Chikuhôdô et de nombreuses autres sociétés de Kumano...

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