
Installé dans la ville tristement célèbre, il est devenu le porte-parole de ses habitants grâce à ses livres dont on parle de plus en plus. Décrivez-nous le Fukushima d’avant le séisme. Wagô Ryôichi : La nature y était abondante. Je prenais grand plaisir à profiter des fruits de saison, à faire des balades, mes jours de congé, dans cette région entourée de si belles collines. Située à une distance raisonnable de grandes villes comme Tôkyô ou Sendai, Fukushima s’est imposée comme le lieu où je devais m’établir. Le séisme du 11 mars s’est produit juste avant que je me décide à me lancer dans des activités de création. Depuis, rien n’a changé, la nature est toujours aussi belle, mais nous devons affronter la radioactivité. Comment avez-vous vécu le 11 mars ? W. R. : Je me trouvais sur mon lieu de travail. J’étais en pleine réunion. Je me souviens d’être sorti de la salle par la fenêtre. Le sol s’est mis à trembler comme si un troupeau de chevaux arrivait au galop juste derrière moi. J’ai tout de suite pensé à ma famille. J’ai réussi à joindre mes proches par téléphone, mais j’étais très inquiet car je ne pouvais pas entrer en contact avec mes parents. Je suis allé voir pour vérifier comment avait tenu leur maison. A plus de 40 ans, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer devant mes parents. Compte tenu de l’état de notre propre appartement et des répliques nombreuses et violentes, nous avons décidé de passer la nuit sur le parking de notre résidence. L’environnement dans lequel vous viviez a brutalement changé. Comment y avez-vous réagi ? W. R. : En fait, en voyant tout s’écrouler autour de vous, votre façon de penser change du tout au tout. On comprend tout d’un coup que, ce qui soi-disant allait très bien, n’a en fait plus aucun sens. Il faut alors se mettre à penser en ayant bien cela à l’esprit. Cette catastrophe a souligné l’importance des réseaux sociaux dans le partage de l’information. Pourriez-vous nous donner vos impressions à cet égard ? Cela a-t-il eu une influence sur votre travail en tant que poète ? W. R. : Je crois que ces réseaux sociaux constituent une nouvelle facette de la communication de masse. Ils montrent également l’importance du besoin de communiquer de façon interactive. Cela nous amène à réfléchir autrement et multiplie les façons de penser. Au niveau de la poésie, les mots que l’on échange et qui sont chargés de nouveaux sens me permettent de construire des textes poétiques d’une autre portée. Vous avez récemment publié trois ouvrages dont le thème central est la tragédie du 11 mars. Dans notre monde où l’image semble primer sur le reste, vos ouvrages soulignent l’importance du poids des mots. W. R. : Il ne m’est pas facile de parler de mes œuvres, mais je dois avouer que j’ai été très flatté d’entendre de nombreuses personnes affirmer que mon travail publié juste après le séisme a contribué à relancer le débat sur le poids des mots dans notre société alors que celui-ci avait pratiquement disparu ces dernières années. Votre livre Shi no kaikô [Rencontres poétiques, inédit en français] m’a rappelé Underground [inédit en français] la collecte de témoignages à laquelle Murakami Haruki avait procédé auprès des victimes de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tôkyô en 1995. Comment avez-vous fait ? W. R. : Je suis allé à la rencontre des sinistrés avec trois questions principales en tête. Je voulais d’abord savoir comment les personnes que je recontrais avaient vécu juste après le séisme. Je m’intéressais aussi à la façon dont ils avaient réussi à prendre le-dessus dans les jours qui ont suivi la catastrophe. Enfin, j’étais curieux de savoir comment elles se projetaient dans l’avenir. Les échanges...
