L'heure au Japon

Parution dans le n°137 (février 2024)

Même s'il ne porte pas son nom, le musée doit beaucoup au créateur de Tsurikichi Sanpei (Paul le pêcheur). / Ritsuko Koga pour Zoom Japon Sous l'impulsion de Yaguchi Takao, le Yokote Masuda Manga Museum est devenu un haut lieu de conservation. Le musée du manga le plus septentrional de Honshû, l’île principale de l’Archipel, se trouve à Yokote, dans la préfecture d’Akita. La ville est connue pour être l’une des régions les plus enneigées du Japon avec une épaisseur de neige pouvant atteindre jusqu’à 2 mètres en hiver. Cette situation rend probablement l’accès au musée difficile pour les visiteurs extérieurs. “Environ 90 % des visiteurs sont des habitants locaux”, confirme le directeur du Yokote Masuda Manga Museum, Ôishi Takashi.Entouré de maisons et de rizières, le musée trône paisiblement dans un quartier rural de Masuda. Avec son architecture imposante et son vaste parking, il ressemble à un grand centre culturel un peu vieillot, mais il dégage une forte impression de dignité. En effet, il s’agit d’un ancien complexe municipal construit en 1995, qui comprenait différents services dont un petit musée dédié au manga. En 2019, il a été transformé en un grand musée du manga à part entière après une rénovation complète. Certains le considèrent comme le premier musée dédié au manga au Japon, mais son directeur n’en est pas sûr. “Il est plutôt le premier musée à avoir exposé des planches originales de manga dans le pays”, précise-t-il.Pourquoi a-t-on placé cet établissement dans ce patelin champêtre ? Parce que le mangaka Yaguchi Takao, l’auteur notamment de Tsurikichi Sanpei [Paul le pêcheur, Kôdansha, 1975-1983], l’a voulu. “Il souhaitait montrer aux enfants de véritables genga, dessins originaux, de manga et transmettre la joie du manga qui ne peut pas être entièrement communiquée à travers les dessins imprimés”, explique M. Ôishi. Le musée aurait pu porter le nom de l’artiste, mais celui-ci ne l’a pas souhaité, estimant que “plutôt qu’un musée dédié à un seul dessinateur, pourquoi ne pas construire un musée présentant le travail de mangakas de premier ordre”.En 2007, Ôishi Takashi, originaire de Masuda et employé de la mairie à l’époque, a été nommé pour gérer ce musée municipal. “Je n’avais pas l’intention de promouvoir la ville en exploitant les mangas de Yaguchi Takao, mais je voulais simplement rester à ses côtés car il était en mauvaise santé”, se rappelle-t-il. Un jour, alors que le mangaka se préparait mourir, il a dit au jeune fonctionnaire : “Je te lègue toutes mes planches originales de manga”.Ce dernier ne pouvait pas gérer seul la quantité de genga de manga, qui s’élevait à 420 000 pièces. Avec l’accord de l’auteur, celles-ci ont été offertes à la municipalité en tant que don, avec l’autorisation d’utiliser les images pour la communication de la ville. Cela a donné naissance à un projet visant à préserver les œuvres originales des mangaka d’Akita, ainsi que d’autres dessinateurs de renom ayant un lien avec la région. Cependant, Ôishi Takashi était seul et une nouvelle organisation devait être mise en place pour gérer ce musée et le projet. En 2015, quatre mangakas originaires d’Akita – Yaguchi Takao, Takahashi Yoshihiro, Kurata Yoshimi et Kikuchi Shôta – ont cofinancé avec la municipalité de Yokote la création de la Yokote City Masuda Manga Art Foundation, une organisation chargée par la ville de gérer le musée.Suite à la rénovation qui a duré deux ans à partir de 2017, le site actuel est équipé d’une nouvelle salle d’archives. Un an après la réouverture du musée, en 2020, Ôishi Takashi a quitté son poste de fonctionnaire municipal pour devenir directeur de la fondation et donc directeur du musée. Quelques mois plus tard, Yaguchi Takao est décédé, soulagé de pouvoir confier l’avenir du musée à son fidèle collaborateur.Au cours des dernières années, un nombre croissant de dessinateurs de la génération Yaguchi, habitués à dessiner leurs mangas à la main, sont décédés. En règle générale, les genga appartiennent aux mangaka et non aux éditeurs, et ces premiers les conservent habituellement chez eux. Toutefois, après leur décès, leurs familles ont du mal à gérer ces milliers de dessins qui restent et qui encombrent leurs placards. Le lancement d’un projet d’archivage était donc devenu nécessaire pour la plupart d’entre eux, en dehors de l’importance de conserver une culture. Dans la salle d’archives du musée, après une numérisation à 1 200 dpi, chaque planche est recouverte d’un papier spécial pour éviter toute détérioration avant que plusieurs planches soient placées ensemble dans une enveloppe et stockées dans la zone de conservation. Les visiteurs peuvent entrer dans une partie de la salle et voir les dessins numérisés sur un écran tactile, et observer de près quelques genga conservés dans des tiroirs originaux. Et pour montrer au public le caractère minutieux du travail d’archivage, le laboratoire est également visible à travers une vitre.En plus de la salle d’archives, le musée comprend différents espaces, pour une surface totale au sol de 3 300 mètres carrés. Dès le hall d’entrée, un grand panneau composé de cases de bandes dessinées populaires suscite notre curiosité. Ensuite, nous découvrons une petite salle dédiée à la culture du manga, qui présente aux jeunes publics le processus de création d’une bande dessinée ainsi que les métiers associés. L’espace se poursuit en pente, entouré d’un hêtre, symbole du musée et d’Akita. Le mur accueillant les genga de nombreux mangaka nous mène au premier étage, où se dévoile la grande exposition permanente de planches originales de 74 dessinateurs (pouvant varier selon la période). En effet, cet établissement possède aujourd’hui une collection de plus de 5 500 genga de 182 artistes, prêts à être exposés dans cette salle. Ces œuvres ont été obtenues depuis 1995 en franchissant l’obstacle des éditeurs, chose qui serait impossible dans le cadre légal actuel. A côté de la bibliothèque de mangas, qui abrite plus de 25 000 ouvrages, se trouve un grand mur exposant des bulles de dialogue reflétant le souhait de Yaguchi Takao. D’après lui, le manga n’est pas seulement un objet de loisir, mais peut également guider les lecteurs dans leur vie à travers ses paroles et ses histoires. Le public peut les visiter gratuitement, à l’exception des deux salles d’exposition temporaire au rez-de-chaussée. L'une des principales missions du musée est d'assurer la collecte et la conservation des manuscrits. / ©Yokote Masuda Manga Museum De plus, à l’instar de la plupart des musées de nos jours, le Yokota Masuda Manga Museum dispose d’une boutique et d’un café ludique. Bien entendu, ce sont des éléments cruciaux pour maintenir le financement du musée, mais le directeur souligne que “ces activités sont comme des feuilles si l’on compare le musée à un arbre. Pour que l’arbre puisse grandir, il est essentiel de ne pas oublier son axe central et de nourrir ses racines qui doivent avoir deux fois plus d’importance que la partie visible. Pour nous, l’axe est le genga. Le fût est fait des expositions et des visiteurs. Nourrir les racines consiste à collecter et préserver des genga, à former des personnels, à établir des relations avec des mangakas et des éditeurs puis gagner la confiance sociale. De nombreuses entreprises et organismes autour du manga ne travaillent que sur les ‘feuilles’ ; restauration, vente des produits dérivés, tourisme, promotion dans le pays et vers l’étranger, les réseaux sociaux, etc. Ce type de business ne durera pas longtemps, quelle que soit la popularité du manga. Je pense que c’est valable pour tous les métiers”. Bien entendu, le musée est financé par la ville, cependant, il est fort probable qu’un jour, les projets non rentables ne puissent plus être inclus dans le budget municipal....

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