L'heure au Japon

Parution dans le n°123 (septembre 2022)

Avec près de 30 % de la population ayant plus de 65 ans, le Japon travaille sur le projet de "société de la longévité" (chôju shakai). / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Pour Akiyama Hiroko, spécialiste en gérontologie, le Japon doit être pionnier dans la gestion du vieillissement. Alors que la population du Japon et du reste du monde vieillit, nous devons reconsidérer le rôle des personnes âgées dans notre société. Zoom Japon s’est entretenu de cette question importante avec Akiyama Hiroko, professeur émérite à l’Université de Tôkyô et membre de l’Institut de gérontologie (IOG). Cette experte en gérontologie a passé 30 ans aux Etats-Unis où elle a obtenu un doctorat en psychologie à l’Université de l’Illinois. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la gérontologie ?Akiyama Hiroko : Je me suis d’abord spécialisée en psychologie sociale. La gérontologie est un domaine interdisciplinaire car elle a des liens avec la médecine, l’économie, la psychologie et la sociologie. C’est pourquoi le parcours de chaque expert est différent. Il n’est pas possible d’aborder et de résoudre les problèmes sociaux par le biais d’une seule discipline universitaire, c’est pourquoi il s’agit d’un système où tout le monde travaille ensemble. L’IOG regroupe des chercheurs des dix facultés de l’Université de Tôkyô, dont la médecine, l’économie, etc.Bref, pour répondre à votre question, j’ai étudié les problèmes liés au vieillissement de la société du point de vue du citoyen. C’est un nouveau domaine plein de possibilités, car nous allons vers une société où les gens vivront centenaires. À cet égard, le Japon est l’endroit idéal, car il fait partie des pays qui vieillissent le plus vite au monde et le pourcentage de personnes âgées de plus de 65 ans y représente déjà environ 30 % de la population totale. Il semble que la recherche sur le vieillissement au Japon soit principalement orientée vers la gériatrie (prévention et traitement des maladies et des handicaps des personnes âgées), tandis que les possibilités d’étudier la gérontologie sont rares. Comment cela se fait-il ?A. H. : La raison pour laquelle le Japon est en retard dans l’étude approfondie des problèmes des personnes âgées est que la famille est traditionnellement désignée pour s’occuper d’elles. Dans le passé, les familles multigénérationnelles (les personnes âgées vivant avec leurs enfants et petits-enfants) étaient courantes au Japon. Le gouvernement confiait aux jeunes générations le soin de s’occuper des personnes âgées et ne s’impliquait pas. Cependant, comme vous le savez, la structure familiale a rapidement changé et le nombre de ménages où les personnes âgées vivent seules a considérablement augmenté. En effet, nous vivons plus longtemps et les enfants ne peuvent plus assumer seuls la responsabilité de s’occuper de leurs parents. Même le système actuel de protection sociale ne peut plus faire face à la situation. Nous devons donc proposer des politiques différentes, un nouveau système qui reflète l’évolution des temps. En effet, il est assez difficile pour les sexagénaires de s’occuper de leurs parents. Nous entendons parfois parler de personnes qui ont tué leurs parents parce qu’elles ne pouvaient pas supporter le stress physique et mental.A. H. : Les “baby boomers” ont aujourd’hui environ 75 ans et leur opinion sur la vieillesse est très différente de celle de leurs parents. D’une part, beaucoup d’entre eux ne s’attendent pas à être pris en charge par leurs enfants. C’est particulièrement vrai dans les zones urbaines. La situation peut être différente à la campagne, mais de plus en plus de Japonais ne veulent pas être un fardeau pour leurs enfants et souhaitent être indépendants et vivre en bonne santé. Beaucoup de sexagénaires veulent continuer à jouer un rôle dans la société. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Aujourd’hui encore, l’idée que les personnes âgées sont inutiles prévaut.A. H. : C’est une idée fausse très répandue. De nos jours, de plus en plus de personnes vivent jusqu’à 100 ans. Comment pouvez-vous dire qu’ils sont vieux lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite ? Comment pouvez-vous dire que leur vie est terminée à 60 ans ? En tout cas, il suffit de regarder les statistiques pour constater que le niveau de santé des personnes âgées d’aujourd’hui est complètement différent de celui d’il y a une génération. Par exemple, elles marchent plus rapidement, ont des poignets plus forts et sont de manière générale en meilleure santé. En outre, elles sont également plus actives. De nombreuses personnes âgées de 60 à 70 ans, par exemple, décident de poursuivre leurs études. En d’autres termes, elles veulent être actives autant que possible. Je crois que c’est particulièrement vrai au Japon.De nos jours, on parle souvent d’une seconde vie qui commence après la retraite. Je suis allée en Italie et en France et j’en ai parlé avec des locaux, et leur réaction habituelle est la suivante : “travailler, vous rigolez ?” (rires) Il semblerait que les Italiens sont heureux s’ils peuvent prendre leur retraite plus tôt que l’âge habituel. Ils veulent se débarrasser de leur emploi le plus tôt possible et, une fois retraités, ils veulent simplement profiter de la vie. Pour eux, c’est comme de longues vacances. Ce n’est pas le cas au Japon. De nombreux sexagénaires et septuagénaires décident de continuer à travailler, mais d’une manière différente, plus flexible, peut-être seulement deux fois par semaine. Ils cherchent un emploi où ils peuvent décider quand et combien de temps ils vont travailler, c’est l’essentiel. Et ils ne le font pas uniquement pour des raisons économiques (par exemple, pour avoir une petite pension). Beaucoup veulent continuer à jouer un rôle et être en lien avec la société. Dans ce contexte, nous cherchons à créer un environnement où les personnes âgées peuvent travailler aussi longtemps qu’elles le souhaitent. Bien sûr, nous vivons à une époque où la population japonaise diminue et où le nombre de jeunes travailleurs est en baisse. En ce sens, je pense que les personnes âgées peuvent constituer une ressource humaine importante. Depuis quelques années, on parle beaucoup de “la société du vieillissement”. Cependant, certaines personnes préfèrent maintenant l’appeler chôju shakai, autrement dit “la société de la longévité”. Je suppose que vous êtes d’accord avec eux ?A. H. : Bien sûr. Il fut un temps où les Japonais aspiraient au même type de vie. Le parcours de vie des hommes (du moins ceux qui vivaient dans les villes) était de trouver un emploi dès la fin de l’université et de travailler pour la même entreprise toute leur vie jusqu’à l’âge de la retraite. Les femmes pouvaient travailler après avoir obtenu leur diplôme, mais elles quittaient leur emploi après s’être mariées et avoir eu un enfant. Cette façon de faire était considérée comme correcte et décente. Cependant, beaucoup de choses ont changé au cours des 30 dernières années environ. Nous vivons plus longtemps et pouvons planifier notre vie différemment. Aujourd’hui, par exemple, vous pouvez avoir deux carrières au lieu d’une, et vous pouvez en changer à tout moment. Récemment, il est même devenu possible d’avoir un emploi secondaire. C’est un mode de vie très différent de celui de nos...

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