L'heure au Japon

Parution dans le n°14 (octobre 2011)

Ômiya Kôichi raconte le tournage de son documentaire sur le séisme du 11 mars qui sera projeté le 15 octobre à La Pagode. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film ? Ômiya Kôichi :  Je suis moi-même originaire du Tôhoku, la région frappée par le séisme du 11 mars. Mes parents y vivent encore. Si le tremblement de terre avait eu lieu dans une autre partie du pays, j’aurais peut-être réagi autrement. Je me suis rendu une fois dans la région avant le tournage de Mujô Sobyô [無常素描, Esquisse de l’impermanence]. Deux semaines après le séisme, je me suis rendu en compagnie d’un preneur d’images chez des connaissances dans la préfecture d’Iwate qui a subi d’énormes dommages. Mais à ce moment-là, nous n’avons tourné que quelques heures, puis nous sommes partis. Et puis, nous ne pouvions pas séjourner plus longtemps. “Pourquoi ? Pourquoi ne pouvions-nous pas continuer à tourner ?  C’est quelque chose dont je veux m’assurer”, me suis-je alors dit. C’est une de mes premières motivations pour ce projet. J’avais aussi la sensation que la mémoire de ceux qui avaient quitté les zones sinistrées s’estomperait peu à peu. J’avais même le sentiment qu’ils voulaient tout oublier. J’étais moi-même dans les mêmes dispositions. La peur de l’oubli constitue une autre des raisons qui m’ont amené à tourner Mujô Sobyô. En définitive, ce sont des motivations très personnelles qui sont à l’origine de ce documentaire. Fin avril, 49 jours après la catastrophe, j’ai repris la route du nord-est. Selon les rites bouddhistes, le 49ème jour est aussi le  jour où l’on prie pour le salut de l’âme des morts. Mujô Sobyô, c’est donc l’enregistrement des voix des sinistrés une cinquantaine de jours après le séisme. Aujourd’hui, plus de six mois après avoir terminé ce film, je n’arrive toujours pas à oublier ces images. Je n’ai pas d’autre choix que de les accepter. Je crois que mes premières réactions qui ont consisté à vouloir quitter les zones sinistrées et à chercher l’oubli étaient liées au fait que je ne pouvais pas accepter la réalité du tremblement de terre. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu la journée du 11 mars ? Ô. K. :  Le 11 mars, je passais une journée tranquille à mon bureau de Tôkyô quand le séisme s’est produit à 14h46. Les Japonais sont habitués aux tremblements de terre. La secousse forte et longue de ce jour-là n’a pas été extraordinaire. Pourtant, elle a suscité un sentiment de peur. De nombreuses personnes sont sorties et se sont rassemblées sur les parkings. “Puis-je vous tenir la main ?” m’a demandé une femme que je ne connaissais pas. Nous sommes restés sur le parking main dans la main. En regardant les fils électriques s’agiter comme des cordes à sauter dans le ciel azur, je me souviens de m’être demandé si ce n’était pas la fin… La secousse a peut-être duré trois minutes. J’ai reçu un message de ma femme inquiète, me demandant de la contacter rapidement. J’ai remis un peu d’ordre dans le bureau avant de partir à pied chez moi. Sur le chemin du retour qui m’a pris 4 heures à pied, j’ai appris à la radio qu’un gigantesque tsunami avait déferlé. “Eloignez-vous des zones côtières ! Eloignez-vous des zones côtières !” ne cessait de répéter d’une voix froide l’animateur radio. Une fois arrivé à la maison, je me suis collé devant mon téléviseur sans pouvoir en bouger. Il y avait encore peu d’informations en provenance du nord-est. On parlait surtout des difficultés que les Tokyoïtes rencontraient pour rentrer chez eux et de l’explosion...

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