L'heure au Japon

Parution dans le n°58 (mars 2016)

Cette découverte du Japon a-t-elle constitué un choc pour vous ? V. D. : Etrangement pas. Je m’attendais pourtant à en subir un. On m’avait dit tellement de choses sur ce pays, qu’il était aliénant et si différent, que je pensais ressentir une sorte de confusion à son contact. Au contraire, j’y ai trouvé beaucoup de familiarités. On y est tellement bien accueilli. Il y a une telle bienveillance des gens que tout est facile. Je me sens beaucoup plus dépaysée en Russie, alors que j’ai des origines slaves. On pourrait penser que je m’y sens chez moi, mais pas du tout. C’est un pays beaucoup plus dur où l’on a du mal à trouver sa place. Ce n’est pas le cas du Japon où il y a une véritable facilité pour se fondre dans le paysage. C’est un pays très stimulant. Pourtant au début du film, lorsque le personnage principal interprétée par Isabelle Carré arrive au Japon, vous avez, semble-t-il, voulu marquer un choc. V. D. : En effet, il s’agissait de mettre en évidence son état psychologique. Il s’agit d’une femme habituée à vivre dans un monde en mouvement perpétuel où le silence n’existe pas et où elle est en fait conditionnée à être prise dans une vie qui ne s’arrête jamais. Le film va raconter petit à petit le passage vers le silence, vers une forme de lenteur. Mais la transition est progressive. Ce dont vous parlez marque davantage son état émotionnel. C’est là que se trouve le choc, mais à partir du moment où elle obtient les éclaircissements de la petite amie de Nathan, elle cherche à aller plus loin, à sortir de cette situation confuse, jusqu’à se laisser prendre par l’atmosphère apaisante de l’île où elle a fini par débarquer. Mais son premier contact avec les gens sur place n’est pas pour autant facile, car elle doit avant tout faire la paix avec elle-même pour se laisser submerger par la sérénité. Il fallait donc créer un contraste entre les deux et les scènes que vous évoquez y participent grandement. Il y avait le risque de tomber dans une sorte de remake de Lost in translation… V. D. : C’est juste. Cela avait été déjà fait et je ne voulais pas me laisser piéger par une sorte de facilité en la matière. Dès lors, bien que le film se passe essentiellement au Japon, on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de “japonaiseries”, c’est-à-dire de situations qui mettent en évidence des comportements susceptibles de nous amener à porter un jugement ou à nous faire sourire parce qu’on les juge inappropriés. Il y a d’ailleurs peu d’échanges en japonais, ce qui dans d’autres films donne lieu à des quiproquos. Je ne voulais pas de tout ça, car ce n’est pas l’essence du film. Je trouvais beaucoup plus intéressant d’être dans l’interaction entre les personnages et dans la découverte de l’espace que de chercher à exploiter des situations que n’importe quel voyageur peut rencontrer à un moment donné. C’est un choix conscient de ma part. Je me suis refusée de filmer les cerisiers en fleurs ou encore le mont Fuji. Une fois encore, ce n’est pas le propos du film qui est une quête de la protagoniste non pas du Japon, mais de réponses sur son frère et finalement sur elle-même. Vous évoquiez votre intérêt pour le cinéma japonais. Est-ce que certains cinéastes nippons ont pu vous influencer dans votre manière d’appréhender certaines scènes ? Je pense notamment aux nombreuses scènes d’intérieur. V. D. : Il y a évidemment Kore-Eda Hirokazu qui filme son pays d’une manière très juste et très naturelle. Il ne cherche ni à l’embellir ni à en donner une mauvaise image. Son approche est une source d’inspiration, c’est évident. De même qu’Ozu Yasujirô pour les intérieurs s’est imposé comme référence. On a l’impression que vous avez adopté la même façon de filmer que lui en plaçant la caméra au ras du sol… V. D. : C’est exact. C’était à mes yeux la façon la plus organique de filmer les personnages qui étaient assis à même le sol. Le risque de mettre la caméra un peu plus haut aurait été de prendre dans le cadre des éléments moins intéressants que ceux en relation directe avec les personnages installés quelques centimètres plus bas. En même temps, mon chef opérateur ne connaissait pas le Japon. Il l’a découvert pour ce film et j’ai justement apprécié son regard neuf. Il a été par exemple très impressionné par les fils électriques alors que je n’imaginais pas pouvoir en faire quelque chose. C’était donc aussi très important d’avoir une vision totalement nouvelle sur les lieux, ce qui a permis d’enrichir le film avec d’autres perceptions esthétiques. Le résultat est à la fois ...

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