
Trois ans après Tokyo année zéro, le romancier anglais revient avec la deuxième partie de sa trilogie. Nous l’avons rencontré. Pourriez-vous nous expliquer comment vous en êtes venu à vous intéresser au Japon ? David Peace : Je me suis installé dans l’archipel en 1994. Avant cela, j’avais une petite connaissance du cinéma et de la littérature. Mais pour être tout à fait honnête, la véritable raison qui m’a poussé à me rendre au Japon est d’ordre économique. Je vivais alors à Istanbul. A cette époque, l’économie locale s’est effondrée et comme je devais rembourser mon prêt étudiant, un de mes amis qui avait travaillé à Tokyo m’a conseillé d’aller y chercher du travail. Je suis donc arrivé là-bas non pas pour répondre à des motivations culturelles, mais pour gagner de l’argent. Avec le temps, mon intérêt pour la culture nippone s’est développé et je me suis attaché en particulier à la ville de Tokyo. Est-ce cet attachement à la capitale qui vous a incité à écrire une trilogie à son propos ? David Peace : Au cours des sept premières années de mon séjour au Japon, j’ai écrit des romans concernant la région du Yorkshire où j’ai grandi en Angleterre. Mais à force de vivre dans Tokyo, de m’y promener, j’ai voulu en savoir plus sur son histoire. Au début, je n’imaginais pas en faire quelque chose. Je voulais simplement me cultiver pour pouvoir plus tard l’expliquer à mes deux enfants. Ce qui m’a particulièrement fasciné dans le passé de la ville, c’est sa capacité à renaître de ses cendres alors qu’elle a été détruite à plusieurs reprises lors du grand tremblement de terre de 1923 ou à la suite des bombardements américains de mars 1945. L’idée de la trilogie m’est donc venue de ce désir d’offrir à mes enfants une histoire de la ville. Est-ce que Tokyo ville occupée a été plus difficile à écrire que le premier de la série Tokyo année zéro ? David Peace : Tokyo année zéro a été très difficile parce que c’était la première fois que j’écrivais sur un lieu où je n’avais pas grandi. Mais j’ai eu la chance d’être soutenu dans cette démarche par mon éditeur japonais, Bungei Shunjû, qui avait publié mes quatre premiers romans sur le Yorkshire. La difficulté pour Tokyo ville occupée a été d’une toute autre nature. Après la publication de Tokyo année zéro, je me suis lancé dans l’écriture de Tokyo ville occupée dans l’idée de mettre en scène deux détectives japonais qui m’auraient permis de développer toute l’histoire. Mais l’affaire que j’ai choisie comme toile de fond au roman, celle de la Banque impériale (Teigin jiken), est très connue au Japon. Cela m’a obligé à faire un énorme travail de recherche à l’issue duquel je me suis rendu compte que mon projet initial d’utiliser deux détectives pour rapporter le crime ne me permettrait pas d’en mettre en lumière la complexité. J’ai compris que je devais trouver une autre manière de raconter l’histoire. Je l’ai découverte grâce à mon écrivain japonais préféré Akutagawa Ryûnosuke et sa nouvelle Dans le fourré (Yabu no naka) dont s’est notamment inspiré Kurosawa Akira pour son film Rashômon (1950). Dans son récit, Akutagawa a recours à six différents narrateurs pour rapporter un crime. Je me suis dit que c’était la meilleure façon de procéder pour moi aussi. Une fois la structure déterminée, j’ai alors été confronté à la difficulté de rendre chaque “voix” unique et intéressante pour le lecteur. Pourquoi avoir choisi l’affaire de la Banque impériale ? David Peace : Parce que c’est une histoire...
