L'heure au Japon

Parution dans le n°154 (novembre-décembre 2025)

Panda Petit Panda est le fruit d’une collaboration avec Miyazaki Hayao. / © TMS All Rights Reserved

La Maison de la culture du Japon à Paris rend hommage au travail et à l’œuvre du formidable Takahata Isao.

Lorsqu’on interroge les Français sur le cinéma d’animation au Japon, la plupart d’entre eux pensent immédiatement à Miyazaki Hayao et au Studio Ghibli. Ils oublient de citer Takahata Isao qui a non seulement travaillé avec le créateur de Totoro, mais aussi participé à la fondation du fameux studio d’où sont sortis de nombreux chefs-d’œuvre animés.

Ils ne sont pas les seuls à “oublier” Takahata, comme le rappelle Tanaka Kazuyoshi, commissaire de l’exposition Isao Takahata : Pionnier du dessin animé contemporain, de l’après-guerre au Studio Ghibli qui se tient à la Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP) jusqu’au 24 janvier 2026. “Même les Japonais ont tendance à faire l’impasse sur lui”, regrette-t-il. Voilà pourquoi les premiers documents exposés ont pour objectif de rappeler le rôle clé que l’artiste a joué dans le développement du film d’animation dans l’archipel. Tout d’abord, il souligne l’importance de la relation entre Miyazaki et Takahata, en rappelant que le second a été le producteur du premier, quand celui-ci s’est lancé dans la réalisation de son second animé Nausicaä de la Vallée du Vent (Kaze no Tani no Naushika, 1984). Ensuite, il rappelle que c’est Takahata Isao qui, après avoir rédigé une note d’intention, a convaincu le créateur du manga Doraemon, Fujiko F. Fujio, d’en accepter l’adaptation animée, ouvrant ainsi la voie à l’un des plus grands succès populaires de l’animation au Japon. On découvre également le storyboard de Lupin III (Rupan Sansei), l’adaptation du célèbre manga signé Katô Kazuhiko à laquelle Takahata a contribué. Enfin, la médaille de l’ordre des Arts et des Lettres qui lui a été accordée en 2015 par le ministère français de la Culture figure dans cette première vitrine destinée à rappeler que de nombreuses œuvres importantes doivent beaucoup à son travail.

Pompoko, œuvre engagée en faveur de l’écologie. / © 1994 Isao Takahata/Studio Ghibli, NH

Ce n’est pas un hasard si la décoration française a été placée au début de l’exposition. En effet, le lien entre le créateur et la France est très fort. Il appartient à cette génération qui a été bercée par les productions cinématographiques françaises, et surtout par sa rencontre avec Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault, sorti au Japon en 1956. Cette dernière est même déterminante car elle lui donne envie de se lancer dans la création de dessins animés. En 1959, il entre chez Tôei Animation, le principal studio dans ce domaine, avec la ferme intention de réaliser un jour son propre film. Rapidement, son sens artistique est remarqué et après plusieurs participations en tant qu’assistant-réalisateur, il se voit confier la direction de Horus, prince du soleil (Taiyô no ôji : Horusu no daibôken, 1968) sur lequel il travaille notamment avec Miyazaki Hayao. C’est le début d’une longue collaboration entre les deux hommes, mais ce film est aussi important, car il met en lumière l’engagement pacifiste de Takahata. à l’époque, la guerre du Vietnam bat son plein et suscite de nombreux débats au Japon qui est indirectement impliqué dans le conflit en raison de l’utilisation des bases américaines à Okinawa. Ces événements influencent le ton et le propos du film, comme il le confiera dans plusieurs entretiens.

Le Conte de la princesse Kaguya est la dernière réalisation de Takahata Isao. / © 2013 Isao Takahata, Riko Sakaguchi / Studio Ghibli, NDHDMTK

Vingt ans plus tard, alors qu’il a cofondé le Studio Ghibli avec Miyazaki après l’expérience du Studio A Production où il réalise Panda Petit Panda (Panda Kopanda, 1972) sur un scénario et une composition des cadrages signés de son compère, il s’empare à nouveau du sujet de la guerre en adaptant la nouvelle de Nosaka Akiyuki Le Tombeau des lucioles (Hotaru no haka, 1988) dans une production qui s’impose comme l’un des plus grands films d’animation jamais réalisés. Alors que dans Horus, prince du soleil, le sujet était suggéré, sa nouvelle réalisation aborde de plein fouet cette thématique et rappelle combien Takahata Isao est attaché à la paix et à la Constitution pacifiste dont le Japon a hérité après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela lui vaudra de participer à des mouvements en faveur de la sauvegarde du texte suprême quand certains responsables politiques manifesteront leur envie de le réviser et d’abandonner l’article 9 qui interdit au pays de recourir à la guerre pour résoudre ses différends.

Son souci de préserver le Japon, y compris son environnement, se retrouve dans d’autres de ses réalisations. Le formidable Pompoko (Heisei tanuki gassen ponpoko, 1994) en est la meilleure illustration même si dans la plupart de ses œuvres il a toujours accordé une place importante à la nature à l’instar de sa série télévisée Heidi (Arupusu no shôjo Haiji, 1974). Mais dans Pompoko, Takahata Isao va plus loin en critiquant l’urbanisme galopant et destructeur auxquels font face des tanuki en tendant des pièges aux humains. Le réalisateur utilise parfaitement le pouvoir de métamorphose dont la culture populaire et le folklore nippons ont doté cet animal pour construire un film intelligent et haut en couleur. En suivant le parcours chronologique de l’exposition qui s’achève sur son dernier film Le Conte de la princesse Kaguya (Kaguya-hime no monogatari, 2013), le visiteur prendra la mesure du talent et de la place fondamentale de cet artiste hors du commun dans l’univers de l’animation japonaise. Il pourra repartir avec le catalogue brillamment traduit par Ilan Nguyên, proche et grand connaisseur de Takahata, dont le rôle en tant que conseiller scientifique de cette exposition qui fera date à la MCJP, doit être souligné.

Gabriel Bernard

Takahata Isao a joué un rôle clé dans l’histoire de l’animation d’après-guerre. / © Shinoyama Kishin

Informations pratiques

Isao Takahata : Pionnier du dessin animé contemporain, de l’après-guerre au Studio Ghibli

Jusqu’au 24 janvier 2026.

Maison de la culture du Japon à Paris

101 bis, quai Jacques Chirac 75015 Paris

Mardi-samedi 11h-19h. Tarif 7€ / Réduit 5€ Catalogue en vente à l’accueil.

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