L'heure au Japon

Parution dans le n°154 (novembre-décembre 2025)

Pierre Cardin (à gauche) avec Michel Motro (à droite) inaugure la première édition du festival en 2006. / Festival Kinotayo

Lancé en 2006, ce rendez-vous annuel du cinéma japonais en France a largement fait ses preuves.

On en compte, selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), plus de 1000 en France. Les festivals de cinéma ne manquent pas dans l’Hexagone. En dehors de celui de Cannes qui se positionne comme une instance de création ou de consécration, la grande majorité de ces manifestations à la gloire du 7e Art se concentrent soit sur un genre à l’instar du Festival international du film fantastique de Gérardmer, dans les Vosges, soit sur la production issue d’un pays ou d’un continent. Dans ce domaine, on peut citer le Festival du cinéma américain de Deauville créé en 1975 dont la 51e édition s’est déroulée du 5 au 14 septembre ou encore le Festival Biarritz Amérique latine, fondé quatre ans plus tard, qui reste la référence pour les amateurs de films latino-américains. Si les productions nippones ont trouvé leur place à Cannes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment après le Lion d’or obtenu par Rashômon (1950) de Kurosawa Akira (voir Zoom Japon n°4, octobre 2010) à la Mostra de Venise en 1951, il faudra attendre le début des années 1990 pour qu’elles bénéficient d’un festival, digne de ce nom, leur étant entièrement consacré.

Près de 30 ans après un hommage à la Cinémathèque japonaise rendu par la Cinémathèque française alors dirigée par son fondateur Henri Langlois sous le titre “Chefs-d’œuvre et panorama du cinéma japonais 1898-1961” et moins de 10 ans après l’incroyable rétrospective de près de 500 films toujours organisée par la Cinémathèque française, la ville d’Orléans accueillait la première Biennale du cinéma japonais du 3 au 11 novembre 1992. à l’époque, Inoue Takakuni, représentant en France de la Fondation du Japon, se félicitait de voir s’ouvrir “un nouveau chapitre à cette histoire déjà longue des échanges cinématographiques entre nos deux pays. Et il ne s’agit pas du moindre : c’est en effet la première fois que s’ouvre à l’étranger une biennale exclusivement consacrée aux cinéastes japonais. J’aime à songer que cette innovation est le fruit d’une volonté française”.

Kurosawa Kiyoshi, président de la première édition, lors du tour de France entrepris à l’issue du festival. / Festival Kinotayo

Comme en 1984 et 1985 à la Cinémathèque, c’est Hiroko Govaers, l’une des pionnières dans la diffusion du cinéma japonais en France, qui en assure la programmation dont la qualité permet de penser que ce nouveau rendez-vous s’inscrira dans la durée. C’est alors d’autant plus important que l’image du Japon n’était pas à l’époque aussi bonne qu’aujourd’hui. Perçue comme une menace, la puissance économique japonaise favorisait un rejet dans la société française et il était donc essentiel de pouvoir en montrer la diversité à travers le cinéma.

Las, la Biennale du cinéma japonais à Orléans ne connaîtra que quatre éditions. Alors que le Japon est l’un des plus grands pays producteurs de cinéma, il n’est pas concevable qu’il ne puisse pas bénéficier d’un festival à sa gloire en France où justement le public commence à s’y intéresser davantage. L’avènement de nouveaux cinéastes comme Kitano Takeshi, dont Hanabi est récompensé en 1997 par le Lion d’or à la Mostra de Venise, suscite un regain d’intérêt au même titre que l’animation signée Miyazaki Hayao. Porco Rosso (1992) est son premier film à sortir en France en 1995 avant Mon Voisin Totoro (Tonari no Totoro, 1988) qui sera projeté dans les salles françaises en 1999. Il apparaît indispensable de créer un nouveau rendez-vous susceptible de mettre en évidence l’incroyable variété de la production cinématographique nippone. La famille Kawakita (voir pp. 4-5) qui a joué un grand rôle dans la création de la Biennale y était très favorable.

Nous sommes en 2004. Après avoir sollicité plusieurs lieux en France dont le Val d’Oise, Michel Motro, un spécialiste du numérique et ancien conseiller du président du Festival de Cannes, se voit confier l’expertise du dossier. “Après avoir lu le document, M. Kawakita m’a demandé d’en être le président. Mais il est tombé malade et après son hospitalisation, je me suis retrouvé seul pour créer ce nouveau festival. À part l’idée, il n’y avait rien”, confie-t-il. Puisque le Val d’Oise s’engageait à subventionner l’opération à hauteur de 10 %, “j’ai cherché un lien entre le département et le cinéma japonais. Outre le fait que s’y concentraient le plus grand nombre d’entreprises japonaises implantées en France, le Val d’Oise était connu au Japon pour Auvers-sur-Oise, lieu de résidence de Van Gogh, célèbre pour avoir peint une trilogie de tableaux baptisée les soleils d’or. Le symbole du festival était donc tout trouvé. En japonais, “soleil d’or” se traduit par “Kin no taiyô”, je l’ai contracté en “Kinotayo”, les deux premières syllabes “kino” rappelant le terme allemand pour cinéma”, ajoute-t-il.

Conseillé au niveau artistique par l’acteur Oida Yoshi, Michel Motro s’appuie également sur un vaste réseau de relations au Japon pour lancer la première édition du Festival Kinotayo en 2006. Désireux d’ancrer le nouveau rendez-vous dans la modernité, alors que le monde du cinéma a basculé dans le numérique, Michel Motro le nomme “Festival du film japonais contemporain à l’ère numérique”. Il souhaite également que les films présentés à cette occasion puissent être projetés partout en France, que le comité de sélection ne soit pas composé uniquement de “spécialistes”, qu’il y ait la parité entre les hommes et les femmes, et entre les Français et les Japonais. “Au total, il y avait vingt personnes”, raconte-t-il. Sur le papier, tout semble coller. Mais, comme souvent, les choses ne se déroulent pas toujours comme on le souhaiterait. Michel Motro en sait quelque chose comme en témoignent les nombreuses anecdotes. Entre un énorme embouteillage qui empêche les invités d’arriver à l’heure pour le dîner de gala et les récompenses, obligeant à changer l’ordre de la présentation ou la panne du projecteur 35 mm destiné à la présentation du seul classique de l’édition qui se traduisit par une séance DVD sans oublier le symposium sur le cinéma numérique à l’Elysée Biarritz qui fut privé de public en raison du bouclage du quartier lié à la présence d’un homme d’État en visite officielle à Paris.

Michel Motro s’est rendu à Tôkyô pour rendre hommage à Imamura Shôhei, premier “Soleil d’or”. / Festival Kinotayo

Pour marquer le lancement de la première édition, le jury décide, en janvier 2006, de décerner le premier “Soleil d’or” à Imamura Shôhei pour l’ensemble de son œuvre. “Il était alors le seul cinéaste japonais à avoir reçu deux fois la Palme d’or”, rappelle Michel Motro. “Mais il est mort en mai. Je me suis rendu à Tôkyô pour y rencontrer sa famille. J’ai assisté à ses obsèques présidées par Yakusho Kôji, l’acteur vedette de L’Anguille (Unagi, 1997), le deuxième film d’Imamura après La Ballade de Narayama (Narayama bushikô, 1983) à avoir été couronné à Cannes, et dont la présence du 11 au 14 décembre 2024 a embrasé la 18e édition du festival Kinotayo lors d’une rétrospective de sa filmographie.”

Cela lui permet de ramener en France 4 films documentaires inédits du cinéaste dont Kinotayo va financer en partie la restauration et le sous-titrage, permettant leur diffusion en première mondiale à Paris, puis à Pau. Présidée par le cinéaste Kurosawa Kiyoshi (voir Zoom Japon n°11, juin 2011) et le couturier Pierre Cardin, la première édition du tout nouveau festival permet de redonner une visibilité au cinéma japonais et de relancer l’intérêt du public, d’autant que la promesse de pouvoir projeter les films en dehors de Paris et de la région parisienne est tenue.

Michel Motro se souvient du tour de France qu’il a entrepris en compagnie d’Imamura Hirosuke, le fils du cinéaste décédé, Kurosawa Kiyoshi et son épouse. “Nous sommes allés à Lyon et à Pau avec des projecteurs numériques, les longs-métrages numériques et les films documentaires d’Imamura en 16 mm. En revenant à Paris, le train est tombé en panne et nous avons dû transborder plus de 60 kg de matériel en pleine voie”, raconte-t-il en souriant, heureux d’avoir contribué à avoir posé les bases d’un festival qui souffle, en 2025, ses 20 bougies.

Même s’il reconnaît avoir dépensé un peu trop pour le lancement de ce nouveau rendez-vous annuel avec le cinéma japonais, le premier président de Kinotayo a assurément su mettre à profit à la fois son expérience et un écosystème plus favorable que par le passé. Après la première Présidence de 5 ans de Michel Motro, Katakawa Kiyoji, également président de l’Association amicale des ressortissants japonais en France, a assuré la Présidence jusqu’en 2024 permettant ainsi en équipe avec Michel Motro d’assurer la survie et le premier grand développement du Festival jusqu’à l’arrivée de Nousha Saint-Martin. Il a notamment joué un rôle clé dans le développement des sponsors sans lesquels le festival n’aurait pu célébrer ses 20 ans aujourd’hui, et ils restent tous deux, une ressource précieuse pour Nousha Saint-Martin.

L’ouverture de la Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP), en 1997, a permis au festival de trouver un lieu pour les projections beaucoup moins coûteux que les locations de salles comme le Balzac ou l’Elysée Biarritz à Paris. Il a surtout donné envie à des amoureux du cinéma japonais de s’investir et de participer au développement du festival. Dimitri Ianni, devenu l’une de ses références, en est la meilleure illustration. “Je suis autodidacte. Je n’ai jamais fait d’études de cinéma. C’est venu à l’époque où les premiers sites spécialisés consacrés au cinéma asiatique se sont développés et j’ai publié mes premières critiques et entretiens sur Sancho does Asia, une revue électronique pionnière en France. J’ai rejoint le comité de sélection de Kinotayo en 2013, à l’invitation de Jean-Pierre Limosin, réalisateur bien connu des amateurs de cinéma japonais, qui dirigeait à l’époque le comité”, explique-t-il. Pour cet amoureux du 7e art nippon, cet engagement bénévole constitue bien sûr un important investissement personnel, mais cela lui permet, dit-il, de “garder un œil” sur l’incroyable production japonaise dont on ne sait pas exactement le nombre de films tournés chaque année faute d’une définition et d’une réglementation rigoureuse du type CNC. “Cela oscille entre 600 et 1 000 longs-métrages”, estime-t-il.

Nousha Saint-Martin opine du bonnet avant de rappeler que cela permet à ce rendez-vous de “jouer un rôle pionnier”. “Le meilleur exemple est Fukada Kôji avec La Grenadière (Zakuro yashiki, 2006), Soleil d’or en 2008”. Jusque-là, ce cinéaste travaillait seul dans son coin et était passé sous tous les radars. C’est lors d’un voyage de Michel Motro au Japon qu’il est venu personnellement lui remettre son film. Depuis, il a connu une carrière internationale, mais Kinoatayo a toujours entretenu un lien avec lui puisque 6 de ses films y ont été présentés. Cela met en évidence l’indépendance du festival. “Nous n’avions rien à vendre”, souligne la présidente. Dimitri Ianni rappelle que Kinotayo est le seul à “avoir montré deux films d’Adachi Masao”, Artist of fasting en 2016 et Prisoner/Terrorist en 2006”.

Ce résultat est rendu possible par la manière dont le comité de sélection aujourd’hui composé de 12 personnes travaille. “Nous nous réunissons toutes les trois semaines durant l’année, afin de composer notre sélection à partir des 200 films que nous visionnons. L’idée est donc d’ouvrir un espace de discussion démocratique afin de confronter nos opinions et nos regards qui divergent selon notre propre perception du cinéma et notre rapport au monde”, rapporte Dimitri Ianni. “Nous avons le souci de proposer une sélection représentative de la diversité du cinéma”, renchérit Nousha Saint-Martin. À la fin de ce processus “démocratique”, entre 7 et 10 films par an sont choisis pour la compétition et sont montrés deux fois au public de la MCJP tandis que les films hors compétition ne sont projetés qu’une seule fois.

Au fil des ans, le festival s’est imposé comme un rendez-vous incontournable pour les amateurs de cinéma japonais. De nombreux cinéastes et acteurs de renom tels que Wim Wenders, Hamaguchi Ryûsuke, Sôda Kazuhiro, Tsukamoto Shinya, Momoi Kaori, Okuda Eiji, Andô Sakura, Yagira Yûya, Tomita Katsuya (voir Zoom Japon n°24, octobre 2012), Ishikawa Kei ou encore Yamashita Nobuhiro (voir pp. 9-12) sont passés au fil des ans par le festival. C’est d’ailleurs à Kinotayo qu’Art House a découvert Fukada Kôji, Hamaguchi Ryûsuke ou Sôda Kazuhiro.

“Nous avons une communauté”, se réjouit sa présidente qui, sous son mandat, a entrepris de la fidéliser en organisant divers événements avec la marque Kinotayo. “Nous avons réussi à générer une attente pour accompagner les sorties de films japonais en France que nous souhaitons soutenir, et pas uniquement pendant le festival”, ajoute-t-elle. Il ne fait aucun doute que le succès est au rendez-vous puisque, au cours des dernières années, le nombre de films japonais, hors animation, diffusés en France est en constante augmentation. “Nous sommes un acteur de cet écosystème”, affirme-t-elle, soulignant au passage que le nombre de salles associées en province est passé de 11 à 18, ce qui a aussi permis d’éviter d’avoir une image trop parisienne. “Le nombre de spectateurs y augmente de façon significative”, confirme-t-elle. “Ils se sont approprié le festival”, assure, pour sa part, Michel Barreteau, un autre membre de l’équipe Kinotayo.

La Grenardière de Fukada Kôji, “Soleil d’or 2008”, est l’exemple notable du rôle pionnier joué par Kinotayo. / © Les Films du Paradoxe

Malgré cette dynamique et ses deux décennies d’existence, l’avenir de Kinotayo reste fragile. “Nous devons franchir une nouvelle étape. Dans le contexte actuel de réduction des subventions, il est indispensable de consolider nos acquis, de nous donner les moyens de trouver des mécènes, d’avoir une ou deux années d’avance en termes de financement”, explique Nousha Saint-Martin. Elle se montre résolument optimiste dans la mesure où il existe, dit-elle, “une réelle appétence” pour le cinéma japonais. à ses yeux, le festival pourrait servir à créer une nouvelle passerelle entre la France et le Japon. Très attachée aux salles de cinéma indépendantes, elle se félicite du récent partenariat avec le Reflet Medicis avec qui est instauré un rendez-vous mensuel de reprise du festival, contribuant à ouvrir des perspectives et permettre au festival Kinotayo d’ouvrir un nouveau chapitre de sa belle histoire entamée il y a 20 ans.

Odaira Namihei

édition 2025

La 19e édition du festival Kinotayo se déroulera du 21 novembre au 13 décembre 2025. Pour marquer le 20e anniversaire de l’événement, trois nouveaux prix seront décernés : le Prix du Jury Jeune, le Prix du Talent Émergent, ainsi qu’un Prix honorant une figure féminine du cinéma japonais, « afin de soutenir le travail remarquable des femmes et de contribuer à leur visibilité dans le domaine cinématographique ».

En plus de plusieurs films hors-compétition parmi lesquels le dernier Hosoda Mamoru, sept films ont été sélectionnés pour la compétition. Il s’agit de :

Maru (Maru) d’Ogigami Naoko

BAKA’s Identity (Orokamono no mibun) de Nagata Koto

River Returns (Hikaru kawa) de Kaneko Masakazu

A Bad Summer (Warui natsu) de Jôjô Hideo

Diamonds in the Sand de Janus Victoria

Numakage Public Pool (Numakage shimin pûru) d’Ôta Shingo

Dear Tomorrow (Haikei ashita) de Kaspar Astrup Schröder

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