
Considéré comme l’un des écrivains les plus doués de sa génération, l’auteur de L’Eclipse évoque son travail et sa passion pour la France. Hirano Keiichirô est actuellement l'un des écrivains japonais les plus prolifiques. Grâce à ses romans, ses essais et ses collaborations avec d'autres auteurs et artistes, il a réussi en peu de temps à imprimer sa marque dans la littérature japonaise. Amoureux des mots et des phrases bien écrites, il cherche en permanence à affiner son style, tout en s'interrogeant sur notre place dans le monde. Ses contes moraux mettent en scène un homme qui tente de combattre ses propres questions existentielles à travers la beauté de l'art. Vous aviez 23 ans en 1998 lorsque vous avez été l'un des plus jeunes auteurs à être récompensé par le prix Akutagawa, l'équivalent du Goncourt, pour L'Eclipse (éd. Philippe Picquier). A quel moment avez-vous décidé de devenir écrivain ? Hirano Keiichirô : J'ai commencé à écrire lorsque j'étais au lycée. C'était alors juste un moyen pour moi de m'exprimer. Je ne pensais pas vraiment à l'avenir. En dernière année, j'ai montré mes écrits à trois personnes de confiance : ma sœur aînée, un de mes amis et mon prof de japonais. Ils ont été très gentils à mon égard, mais j'ai eu l'impression qu'ils ne voulaient pas me heurter (rires). Voilà pourquoi je me suis concentré sur mes examens d'entrée à l'université. J'ai quand même conservé mon profond amour pour la littérature. J'ai continué à écrire et quand j'ai eu environ 20 ans, j'ai compris que je voulais vivre de mon écriture. Vous aviez aussi un intérêt pour la musique ? H. K. : Oui. J'avais commencé la guitare quand j'étais adolescent. Au début, je jouais surtout du rock. A l'université, j'ai fait partie d'environ cinq groupes en même temps ce qui m'a permis de me lancer dans différents genres du funk à la fusion, en passant par le rock progressif ! (rires) Aujourd'hui, je suis trop pris par mes occupations et je ne pratique la guitare qu'occasionnellement à la maison. En revanche, j'écoute encore beaucoup de musique. Vous avez fait vos études à Kyôto où vous avez passé une dizaine d'années. Avez-vous tout de suite déménagé à Tôkyô une fois diplômé ? H. K. : Non. Avant de m'installer à Tôkyô, j'ai passé une année à Paris dans le cadre d'un échange universitaire. J'aimais la musique et la culture française. Je m'étais rendu plusieurs fois à Paris en vacances. Mais la raison principale de mon choix était liée au fait que je voulais bien manger. (rires) Vous vous êtes bien amusé en France… H. K. : Oh, que oui ! Même si l'apprentissage de la langue n'était pas évident. A la différence d'autres régions françaises, les Parisiens parlent très vite. Les jeunes, en particulier, utilisent beaucoup de mots d'argot. J'avais du mal à les comprendre. Vous avez pénétré l'univers de la littérature à travers des écrits européens. Quel auteur vous a influencé le plus ? H. K. : Thomas Mann a été le premier. Parmi les écrivains français, j'adorais lire Baudelaire, Balzac, Flaubert, les plus grands. Comment réagiriez-vous si on disait de vous que vous êtes un écrivain japonais atypique ? H. K. : Le roman est un genre littéraire éminemment occidental. Il est vrai que pendant l'ère Edo il existait ce qu'on appelait le gesaku, un genre plutôt populaire. Néanmoins, c'est à la fin du XIXème siècle et au début du XXème que s'est déroulé l'essor de la littérature moderne au Japon, laquelle a été très influencée par celle venue d'Occident. Mes écrivains japonais préférés du passé comme Mishima Yukio, Mori Ogai, Tanizaki Jun'ichirô étaient tous de grands amateurs de littérature occidentale. Vous pouvez dire que j'appartiens à cette tradition. Que pensez-vous des écrivains actuels ? H. K. : J'aime bien Tanaka Shin'ya qui a récemment remporté le prix Akutagawa. Il y a aussi plusieurs jeunes femmes écrivains comme Wataya Risa, Kanehara Hitomi ou Motoya Yukiko qui ont fait leur apparition ces dernières années. Je trouve leurs œuvres plutôt intéressantes. Votre roman Sôsô [Marche funèbre, inédit en français] paru en 2002 se déroule dans la France du XIXème siècle. En 2005, vous avez passé une année entière dans l'Hexagone en tant qu'ambassadeur culturel. Il semble que vous avez entretenu des liens très solides avec la France tout au long des années. H. K. : Comme je l'ai dit, j'aime la culture française. Sôsô, en particulier, raconte les années que Frédéric Chopin a passées à Paris ainsi que ses rapports avec Eugène Delacroix. J'ai voyagé plusieurs fois à Paris pour écrire ce livre. Une chose amusante s'est déroulée lorsque je vivais là-bas. Certaines fresques épiques de Delacroix décorent les murs de l'église Saint-Sulpice. Cette dernière se trouve dans le quartier de l'Odéon à proximité du lieu où je vivais. Pendant mon séjour, un nombre croissant de touristes japonais ont commencé à visiter cette église. Je croyais que ce phénomène était lié à mon livre. Mais il est vite apparu qu'il s'agissait de fans de Da Vinci Code ! (rires) Malgré cette “déception”, j'ai vraiment adoré vivre à Paris. Si vous deviez comparer Tôkyô à Paris… H. K. : Je pense que Tôkyô ressemble aujourd'hui à ce qu'était Paris il y a deux cents ans. D'une part, parce que les deux cités attirent des gens sans racines. Par ailleurs, chaque quartier de Tôkyô possède son caractère propre, un peu comme Paris dans le temps. J'aime vivre à Tôkyô car on a accès à tant d'informations et on a la possibilité d'entrer en contact avec...
