L'heure au Japon

Parution dans le n°65 (novembre 2016)

Après être tombé presque dans l’oubli, le tatouage a retrouvé droit de cité dans l’archipel. Mais les goûts ont évolué. La perception du tatouage au Japon est paradoxale. L’archipel hérite d’une longue tradition qui a fasciné les premiers visiteurs occidentaux et a fortement influencé les tatoueurs à l’étranger. Mais le tatouage y est objet de préjugés tenaces et les tatoués sont victimes d’ostracisme : des bains publics, saunas, piscines, clubs de sport, auberges des sources thermales (onsen) et certaines plages leur sont interdits. En prévision des Jeux olympiques de 2020, l’Agence pour le tourisme, craignant des incidents avec des athlètes tatoués, a enjoint ces établissements de lever ces interdictions. Mais, apparemment, cette tolérance ne concernera que les étrangers : les Japonais tatoués, eux, resteront bannis bien qu’aucune loi n’interdise de porter un tatouage… Depuis une vingtaine d’années, sous l’influence de la culture américaine et d'idoles du show-biz, comme Amuro Namie ou Hamasaki Ayumi, stars de la J-pop de la première décennie 2000, le tatouage est devenu à la mode chez les jeunes Japonais : des salons de tatouages ont désormais pignon sur rue dans les quartiers branchés, tels que Harajuku ou Kôenji à Tôkyô, alors qu’auparavant les tatoueurs exerçaient discrètement. A la fin des années 1980, on n’en dénombrait guère plus de 250 dans l’archipel. Ils seraient aujourd’hui dix fois plus nombreux et plusieurs publications sont spécialisées dans le tatouage. Comparé aux Etats-Unis ou à l’Europe où l’on estime que 10 % de la population porte un tatouage, le nombre des Japonais tatoués reste modeste. La majorité de ceux-ci se contentent de petits tatouages (one point tattoo) qui n’ont pas grande chose à voir avec la grande tradition des “peaux de brocart” (nishiki hada), les éblouissants tatouages couvrant tout le corps, abusivement associés à la pègre (yakuza) par les films des années 1960-70 et les médias. Tous les yakuza ne sont pas tatoués et tous les tatoués ne sont pas des truands. Loin s’en faut. Dans le passé comme aujourd’hui. L’exposition Tatouages et Tatoués au Musée des Arts premiers du quai Branly a souligné de manière erronée cet aspect, déplore l’anthropologue Yamamoto Yoshimi dans son livre Irezumi to Nihonjin [Irezumi et les Japonais, Heibonsha, 2016, inédit en français]. Un cliché qui n’est pas le seul fait des étrangers : c’est le cas de 45 % des Japonais, selon un sondage de l’association du barreau du Kantô (région de Tôkyô). Pour la majorité d’entre eux, le tatouage reste l'apanage d'un monde interlope. La clientèle évolue, notent les tatoueurs. Même pour les tatouages traditionnels. Jusque dans les années 1980, les personnes qui se faisaient tatouer appartenaient à certains milieux : artisans, petits commerçants, artistes, “papillons de nuit” (hôtesses de bar), artistes, voyous…. Désormais, ils viennent de milieux très divers et le nombre des femmes augmente, disent les tatoueurs, bien que l’engouement du début des années 2000 tend à retomber. Le corps “gravé” dans le style wabori (tatouage japonais) reste cantonné à une petite minorité de tatoués, fiers de s'inscrire dans une tradition séculaire. Ce n'est pas cet héritage qui attire les jeunes Japonaises. Celles-ci optent le plus souvent pour des motifs discrets. Les tatouages font partie de leur mise en scène de la vie comme la coloration des cheveux, le piercing ou le vernis à ongles voyant. Les tatouages contemporains puisent dans le registre iconographique traditionnel et largement aussi dans celui des mangas et animés… Ceux qui se font tatouer comme beaucoup de jeunes tatoueurs ignorent la symbolique des motifs. “Le tatouage traditionnel n’est pas seulement une...

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