L'heure au Japon

Lorsque Karen embarque pour cinq semaines de vacances bien méritées à l’autre bout de la planète, elle ne pouvait imaginer l’aventure qui l’attendait : celle de toute une vie. La journaliste, Karyn Nishimura-Poupée, autrice lauréate du prix Shibusawa-Claudel pour son essai Les Japonais, s’envole au printemps 1996 pour retracer ses premiers pas dans le pays qui deviendra, des années plus tard, son quotidien, ses amours puis sa famille. Son mari, le mangaka J.P. Nishi, choisit alors d’ancrer son histoire, ses découvertes et ses réflexions dans Ivre du Japon, un manga mi-journal intime, mi-documentaire.

Mais allez savoir pourquoi, quelque part au fond de moi, je savais que ce voyage marquerait un tournant important dans ma vie ! Une nouvelle aventure allait commencer… Je le sentais !

Écouter des cassettes dans son walkman de marque japonaise dans la voiture de ses parents. Écouter des morceaux de Ryûchi Sakamoto dans la petite chambre étudiante de sa meilleure amie. C’est par les sons que Karen, directrice technique pour une chaîne de télévision, se décide à choisir le Japon comme destination de vacances. Nous sommes en 1996 et le Japon est soumis à trop peu de représentations, malheureusement trop souvent stéréotypées. C’est par les sons, ceux des annonces de la Yamamote Line, ou encore ceux du hyôshigi qui donne vie à l’univers mystique du kabuki, qu’elle se décide à faire du Japon une terre d’ivresse. D’abord pour ses projets professionnels qui se nourrissaient alors de l’i-mode et d’autres appareils à la pointe de la technologie recommandés par le petit papy expert d’Akihabara, puis finalement pour les prochaines années de sa vie.

D’après moi, chaque langue véhicule une manière de vivre bien spécifique !

Derrière l’humour tendre et les saynètes du quotidien, Ivre du Japon se révèle être un récit à double voix, où le trait de J.P. Nishi orchestre la rencontre entre les souvenirs de Karen et les souvenirs de sa propre expérience d’expatriation à Paris. On y découvre des personnes curieuses, arrivées le cœur plein de rêves avant d’être bousculées par la barrière de la langue, la solitude, une constante stimulation et, parfois, quelques désillusions. Le manga alterne flashbacks, tranches de vie conjugale et réflexions sur le Japon des années 1990 à aujourd’hui, dressant le portrait d’une femme devenue journaliste, d’un couple franco-japonais et d’une société en constante mutation.

Observer, s’informer, comprendre puis transmettre. Karen développe sa plume de journaliste avec sa volonté de partager des informations le plus justement possible. Ivre du Japon prend alors des allures de documentaire de l’intime où le quotidien révèle les enjeux sociaux, politiques et culturels du Japon contemporain, mais également quelques biais personnels non interrogés : une certaine remise en question de la colère sociale, la possessivité d’un mari incapable d’entendre parler des histoires d’amour passées de sa femme, ou encore  les représentations stéréotypées de personnes racisées.

Malgré cela, Ivre du Japon se révèle être un carnet de bord sincère sur la parentalité, les injonctions sociales, et la vie à deux entre deux cultures. Jamais amer, souvent drôle, J.P. Nishi livre un témoignage personnel traversé par l’humour, l’autodérision et l’affection. 


Ivre du Japon, Jean-Paul NISHI, Éditions KANA, 2021, 176p, 15,95 €

Fiona DANGLETERRE pour Zoom JAPON

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