
Idogawa Katsutaka mène un combat juridique pour informer les générations futures. / Alissa Descotes-Toyosaki pour Zoom Japon L’ancien maire de Futaba s’est lancé dans un procès pour obtenir la reconnaissance du statut de réfugié. Idogawa Katsutaka n’est pas un maire comme les autres. Ancien ingénieur en maintenance, il se rend compte très tôt de la gravité de l’accident et prend la décision seul d’évacuer une partie de sa population à Saitama, près de Tôkyô. Il déclarera que, devant l’absence de directives, il était “prêt à évacuer les habitants jusqu’au Vietnam pour les protéger contre les radiations”. Aujourd’hui encore, plus de deux mille habitants vivent à Saitama tandis que cinq mille autres sont éparpillés dans le pays. C’est pour eux que l’ancien maire veut faire reconnaître un statut de réfugié nucléaire. En 2014, il se porte candidat au poste de gouverneur de Fukushima, mais son franc-parler et son opposition au retour des habitants dans les territoires évacués ont eu raison de sa carrière politique. Un an plus tard, il fait l’objet d’une campagne de harcèlement suite à la publication d’un manga sur l’accident de Fukushima qui le met en scène. Le manga est censuré, mais il en faut plus pour le faire taire. L’ancien maire de 75 ans, qui a vécu en direct l’explosion du réacteur 1, le 12 mars 2011, déclare : “Nous aurions pu évacuer beaucoup plus tôt et éviter de nous faire irradier”. Foncièrement déterminé à faire reconnaître aux responsables leurs crimes pour “abandon de la population”, il ouvre un procès en son nom la même année. Dans son bureau de Saitama, il a classé des centaines de dossiers qui retracent les événements depuis l’évacuation des 7 100 habitants de Futaba. Son objectif : rassembler des pièces à conviction pour que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas. Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi, a implanté deux réacteurs sur la commune de Futaba au début des années 1960. Vous êtes arrivés à la tête de la ville 25 ans plus tard, faisiez-vous confiance à cette énergie ?Idogawa Katsutaka : Non, pas du tout. Quand j’étais collégien, j’ai entendu parler du projet d’une centrale nucléaire et j’ai dit à mon père : “Surtout ne la construisez pas !” J’étais persuadé que cela représentait un danger. Mon père, modeste paysan, m’a répondu : “C’est trop tard. Les gens ont voté pour avoir plus d’argent !” C’était une prise de conscience très précoce, surtout à l’époque où prédominait le mythe de la sécurité dont Futaba avait fait sa devise.I. K. : J’ai toujours ressenti une méfiance envers l’atome. Et en général, mon instinct ne se trompe pas. Par la suite, je suis parti faire des études en génie civil. Je suis devenu spécialiste dans les travaux de maintenance des bâtiments et des usines. Avec mon diplôme, j’aurais pu avoir un très bon poste à la centrale de Fukushima, mais j’ai toujours refusé. Je ne voulais pas me faire irradier. Vous avez travaillé dans le génie civil depuis l’âge de 25 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter au poste de maire de Futaba en 2005 ?I. K. : La ville était criblée de dettes à cause de la mauvaise gestion budgétaire de mon prédécesseur. Nous étions au bord de la faillite. On a pourtant l’image d’une ville florissante avec les subventions du nucléaire.I. K. : C’est peut-être l’image qu’ont les gens mal renseignés, mais elle est complètement fausse. (rires) Les subventions ont aussi une fin. C’est pour cela que mon prédécesseur a fait une demande à Tepco, en 2003, pour construire les réacteurs 7 et 8 sur la commune. Comment avez-vous géré cette situation ?I. K. : Je faisais semblant de croire que la centrale était sûre. Mais comme j’étais spécialisé dans la maintenance, j’ai été très vite impliqué dans les travaux de révision du réacteur 2 et j’ai constaté qu’il y avait des défaillances. J’ai remarqué aussi des soudages branlants sur les réacteurs 1 et 3. Je me suis dit que, en cas de séisme, ça ne tiendrait pas. Je l’ai signalé plusieurs fois à Tepco. Concernant les tranches 7 et 8, j’avais dans l'idée que si l’on faisait avancer ce projet de construction, je pourrais demander à Tepco le démantèlement des tranches 1 à 4, car, à mes yeux, il s’agissait de réacteurs vieillissants et dangereux. Le séisme du 11 mars 2011 ne vous a pas permis de la faire. Où étiez-vous ce jour-là ?I. K. : Je conduisais, de retour d’une cérémonie de remises des diplômes à l’école primaire. Pendant que j’étais en train de valser de droite à gauche, j’ai pensé : “La centrale va péter”. C’était une certitude. J’ai entendu l’alerte au tsunami qui annonçait une vague de 3 m. Quand je suis arrivé à la mairie je me suis rué au 4e étage et j’ai vu arriver une vague de 15 m. J’aurais pu être englouti à quelques minutes près. Comment s’est déroulée l’évacuation ? Avez-vous reçu des directives claires ?I. K. : C’était la panique. Le centre de gestion de crise nucléaire de la préfecture n’était pas fonctionnel et ne nous a pas informés. Nous aurions dû déjà recevoir un ordre d’évacuation le 11 mars. Le 12 au matin, nous avons appris à la télé qu’un ordre d’évacuation de 10 km autour de la centrale avait été lancé. J’ai appelé tout de suite le maire de Kawamata qui m’a donné son accord pour nous accueillir. On a convoqué la cellule de crise et ordonné l’évacuation immédiate. Ensuite, je suis parti vers l’hôpital à côté de la centrale, car il y avait des personnes âgées et des malades. C’est à ce moment-là que le réacteur 1 a explosé. Vous étiez pratiquement devant la centrale au moment de cette première explosion, que s’est-il...
