L'heure au Japon

Parution dans le n°54 (octobre 2015)

Considéré comme l’un des meilleurs photographes du monde, l’artiste est en France pour une exposition exceptionnelle. A première vue, le portrait photographique n’a rien de compliqué. Mais pour arriver à un résultat satisfaisant, cela demande beaucoup de patience et de discipline. Depuis plus de 20 ans, Kikai Hirô se concentre sur cette forme d’expression. Il a pris en photo des centaines d’inconnus qui passaient le long du mur d’un temple à Tôkyô où le photographe aime se tenir. Cette approche ascétique a été récompensée puisqu’il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs portraitistes de la planète. Zoom Japon l’a rencontré dans son “studio” extérieur à Asakusa. Il nous a confié sa passion pour la photographie, sa philosophie et son humanité. Vous êtes né dans la préfecture de Yamagata, laquelle se trouve dans le nord-est de l’archipel. Avez-vous conservé des liens avec votre région natale ? K. H. : Mes deux sœurs aînées y vivent encore. Je leur rends visite deux fois par an, parce que j’aime les nombreuses stations thermales qu’on y trouve et les fameuses soba (nouilles à base de farine de sarrasin) de Yamagata. De nombreux jeunes qui sont nés dans les régions rurales sont montés à Tôkyô pour leurs études. Avez-vous suivi la même voie ? K. H. : Oui. Après le lycée, j’ai commencé à travailler dans l’administration locale, mais je ne pouvais pas résister à l’appel de la capitale. D’autant que pour la plupart des étudiants, l’entrée à l’université représente quatre années de vacances. Au bout d’un an, j’ai donc démissionné de mon travail pour entrer à l’université Hôsei où j’ai étudié la philosophie. Comment un étudiant en philosophie devient-il photographe ? K. H. : J’ai choisi d’étudier la philosophie parce que je me sentais incapable de suivre des cours sur des sujets aussi pratiques que l’économie ou la technologie. Je voulais trouver quelque chose qui permette de m’exprimer. La philosophie était une matière parfaite. Pendant mes “vacances universitaires”, je me suis beaucoup intéressé au cinéma. J’appréciais beaucoup des réalisateurs européens comme Federico Fellini ou Andrzej Wajda. Malheureusement, pour réaliser des films, il faut pas mal d’argent. Comme je n’en disposais pas, c’était un rêve inaccessible. Mon professeur de philosophie m’a alors présenté Yamagishi Shôji qui était responsable du magazine Camera Mainichi. Jusque-là, je n’avais jamais manifesté d’intérêt pour la photo. Mais un jour de 1969, Yamagishi Shôji  m’a montré un livre de la photographe américaine Diane Arbus qui m’a littéralement soufflé. J’ai passé des heures à regarder ses portraits. A l’époque, je ne possédais pas d’appareil photo. Mais j’ai compris que faire des photos était plus abordable que de réaliser un film. Je me suis alors lancé dans l’aventure photographique. Imaginiez-vous déjà devenir photographe professionnel ? K. H. : Pas vraiment. Je pensais que le seul moyen de vivre de ses photos était de faire de la photographie à des fins commerciales. Et je n’en avais vraiment pas envie. Si je voulais devenir un vrai photographe, je devais séparer cette activité de mon travail. Par ailleurs, j’avais le sentiment de devoir acquérir plus d’expérience dans la vie. J’ai trouvé un boulot dans la pêche et je suis parti huit mois en mer sur un thonier. J’ai appris que vous utilisiez toujours le même appareil depuis cette époque. K. H. : Le voici ! (il sort son Hasselblad 500CM). Mon professeur Fukuda Sadayoshi ne m’a pas seulement enseigné la philosophie, il est devenu mon mentor tout au long de mon existence. Un jour, il m’a parlé de cet appareil d’occasion. Il coûtait 600 000 yens ! Une fortune, l’équivalent d’une petite voiture. Mais il m’a dit que le propriétaire était prêt à s’en séparer pour la moitié du prix. A l’époque, j’étais complètement fauché. Il l’a alors acheté pour moi. C’est comme ça que je suis entré en possession de ce magnifique appareil avec un simple objectif de 80 mm. Mais je ne savais rien de la photographie. J’ai alors commencé à me lancer dans la photo pendant mon temps libre. Vous n’avez pas pu...

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