L'heure au Japon

Parution dans le n°39 (avril 2014)

Un an après le succès de Shokuzai, le cinéaste revient avec Real, un thriller prenant et étonnant. Il s’explique. Comment passe-t-on de Tokyo Sonata, à Shokuzai puis à Real en termes de production ? Kurosawa Kiyoshi :  Pour ces trois projets, ni les sociétés de production ni les producteurs n’étaient les mêmes. J’ai donc travaillé avec des équipes différentes à chaque fois. Il se trouve qu’après Tokyo Sonata, pendant quatre ans, j’ai écrit et proposé des projets, mais aucun n’a abouti. Ça ne veut pas dire que je ne faisais rien, mais, en tout cas, ce fut une période au cours de laquelle je n’ai pas pu tourner. Une des raisons pour lesquelles je n’ai pas pu tourner après Tokyo Sonata, c’est que justement avec ce film j’avais eu l’impression peut-être d’avoir fait le tour de films qui se déroulaient dans le Japon, le Tôkyô  contemporain, parce que la plupart des films se situaient à cet endroit-là et à notre époque. Du coup, j’avais envie de tourner autre chose. J’ai écrit des histoires dont l’action se déroulait plutôt dans le passé. D’autres où le film n’aurait pas été tourné au Japon, mais en Chine. Or il se trouve que c’était des projets plus coûteux que ce que j’avais l’habitude de faire. C’est pourquoi, ils n’ont pas abouti. Je me suis alors dit que si j’arrêtais de faire des films maintenant, je n’en ferais peut-être jamais plus et je m’éloignerais à jamais du cinéma. C’est à ce moment-là qu’on m’a proposé le projet de Shokuzai. A l’origine conçu pour la télévision, je l’ai abordé de façon beaucoup plus décontractée que si cela avait été pour le cinéma. Je n’étais pas habitué à adapter des romans originaux. A priori, ce n’était pas forcément ma spécialité, mais, comme c’était pous la télévision, je l’ai pris avec beaucoup plus de légèreté que d’habitude. Je me suis lancé et je me suis rendu compte que cela avait un tout autre intérêt que si j’avais présenté un projet original. Cela a été une expérience très constructive. Après Shokuzai, j’ai pris conscience que l’adaptation à l’écran de romans originaux ne me posait pas tant de problèmes que ça, que je pouvais tourner des films sans ressentir de gêne par rapport à ce processus. C’est alors qu’on m’a proposé un autre projet d’adaptation, Real. C’était un roman que j’ai lu. Au départ, je l’ai trouvé un peu confus. En termes de narration, il y avait des choses un peu compliquées, mais en même temps, l’idée me plaisait parce que ce n’était pas un projet qui allait se tourner dans le Tôkyô contemporain. Il y a justement cette frontière un peu floue entre la réalité et ce qui ne l’est pas. C’est ce qui m’a donné envie d’accepter le projet. En parlant de frontière, pourriez-vous nous parler de votre intérêt pour les lignes que l’on retrouve dans beaucoup de vos films ? K. K. :  Contrairement à la France en particulier, il se trouve qu’au Japon les villes sont faites de lignes. Justement il existe beaucoup de choses qui ressemblent à des cadres qui sont délimités par une verticalité et une horizontalité. Ce n’est pas forcément très agréable à vivre, mais c’est très cinématographique puisque ça ressemble beaucoup à l’écran. Donc, en termes de mise en scène, ça élargit très facilement l’imaginaire que l’on peut avoir. Ça  donne des idées parce que, en fonction de l’endroit où l’on se place, on peut déjà avoir l’impression que le cadre est défini. C’est vrai que je me suis beaucoup servi de cela jusque-là. Il se trouve que pour Real, dans le roman original, il y avait toute cette partie qui se déroule sur une île du Pacifique. J’avais déjà parcouru ce genre d’endroits en tant que visiteur, mais je n’en avais jamais filmé. Donc je ne savais pas du tout comment aborder la chose. Quelle mise en scène fallait-il adopter ? Je n’ai pas encore trouvé la formule. Je ne suis pas persuadé d’avoir bien réussi à le faire, mais c’est un nouveau champ d’exploration pour moi. Jusqu’à présent, je m’étais beaucoup cantonné à la métropole. Avec Real, ça m’a donné envie d’explorer d’autres types de paysages. Pour compléter, je voudrais aborder le format de l’image. Jusqu’à présent, j’ai beaucoup tourné en VistaVision. C’est un format que je trouve bien adapté, car il laisse pas mal de place au hors-champ. Un des intérêts du cinéma à mon sens, c’est justement de susciter la curiosité du spectateur par rapport à ce qui n’est pas dans le cadre. Je trouve que pour filmer la ville, c’est le format idéal. Quand on filme des intérieurs qui sont assez carrés ou assez linéaires, c’est vraiment le format idéal. En revanche, quand on est parti sur cette île et qu’il a fallu filmer cette nature, je me suis rendu compte que ce n’était pas le bon...

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