L'heure au Japon

Parution dans le n°12 (juillet 2011)

Depuis sa création en 2006, le site de partage de fichiers vidéo a bouleversé le secteur des médias. Mais pas seulement.   Qu’est-ce qui réunit près de 20 % de la population japonaise, suscite des débats enflammés dans l’opinion et permet d’intéresser une partie de la jeunesse - 60 % de ses utilisateurs ont moins de 30 ans - à l’actualité ? Vous séchez ? Ce n’est ni Facebook ni Mixi, son équivalent nippon, mais un autre site Internet baptisé Nico Nico Dôga qui, en l’espace de quelques mois, est devenu un véritable phénomène de société dans l’archipel. Lancé en décembre 2006 en tant que site de partage de clips vidéo, Nico Nico Dôga, Nicodô pour les intimes, a attiré l’attention des internautes japonais qui, une fois inscrits, peuvent laisser leurs commentaires sur les images présentées. Mais à la différence de YouTube qui permet également de  commenter les vidéos, le site géré par la société tokyoïte Dwango Co. offre la possibilité aux usagers de les incruster en temps réel directement sur l’image. Cette nouvelle façon de communiquer a évidemment séduit les internautes qui disposaient d’un moyen original pour s’exprimer et échanger. Cependant, n’allez pas croire que les commentaires soient du plus haut niveau. Bien souvent, vous voyez apparaître sur l’écran la lettre “w” ou toute une série de “w” qui signifient simplement que la personne en train de visionner la vidéo est en train de rire. En japonais, rire se dit “warau”. En utilisant la première lettre du mot, on exprime sa bonne humeur. Plus on écrit de “w”, plus on s’amuse. On peut parfois assister à des sortes de concours que se livrent les usagers pour savoir celui qui rit le plus devant telle ou telle vidéo. De prime abord, Nicodô peut apparaître comme un site inutile comme il en existe beaucoup à travers le cyberespace. Mais là aussi, ce serait aller un peu vite en besogne que de le classer dans cette catégorie. Son succès incroyable plaide également en sa faveur, car il est difficile de croire que 21 millions d’imbéciles se sont donnés rendez-vous sur cette plate-forme uniquement pour inscrire des “w” à longueur de temps sur des vidéos de dessins animés. Si la part de ceux qui se contentent de ce genre de distraction n’est pas négligeable, ceux qui ont trouvé dans Nico Nico Dôga le lieu où ils peuvent partager, débattre et s’impliquer voient leur proportion croître à vue d’œil. Cela s’explique en partie par le fait que Nicodô réunit sur un seul et même écran YouTube, Twitter et Ustream (site qui assure la diffusion en direct d’émissions). Pragmatiques, les Japonais ont compris l’intérêt de cet outil. Cela les détourne  encore davantage des médias traditionnels, comme la télévision, qui ont perdu leur attractivité passée faute de pouvoir assurer la participation des usagers. Peu à peu, le site se substitue aux chaînes traditionnelles, attirant à lui des politiciens comme Ozawa Ichirô, homme fort du Parti démocrate au pouvoir et l’une des personnalités les plus influentes, venu répondre, en novembre 2010, en direct aux internautes alors qu’il était confronté à un gros scandale. Lui qui refusait de répondre aux médias traditionnels a voulu montrer qu’il n’avait pas peur d’affronter un public qui ne prend pas toujours de gants pour s’exprimer. Pour être entendu, il faut être présent sur Nicodô. Le changement de perception du site est lié aux événements tragiques du 11 mars et à la crise nucléaire qui en a découlé. Dès le lendemain de la catastrophe Nicodô a non seulement décidé de reprendre les émissions spéciales produites par les grandes chaînes, mais aussi de diffuser des reportages réalisés avec les moyens du bord dans les régions frappées par le tsunami, grillant souvent la priorité aux autres médias. Par ailleurs, le site Internet a diffusé en direct et en intégralité les conférences de presse tenues par Tepco ou les responsables politiques, permettant aux internautes de se forger leur propre opinion sur la situation et d’y réagir. En résumé, les internautes ont conquis un espace de liberté où les idées les plus diverses peuvent s’exprimer sans tabou et où les sujets souvent absents ...

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