
Durement frappée par le tsunami du 11 mars 2011, la région renaît en partie grâce à cette boisson des dieux. Si l’on me demandait de caractériser l’esprit du Tôhoku, je répondrais : “les brasseries locales de saké”. J’ajouterais que le saké est l’héritage de l’ADN japonais depuis plus de deux millénaires. Dans les temps anciens, les gens croyaient que le saké était une boisson sacrée brassée par les dieux. Ils pensaient que la puissance divine pénétrait dans leur corps grâce au saké local. Depuis les événements du 11 mars 2011, le Tôhoku s’est transformé en un centre de production d’un saké haut de gamme. L’inscription de la cuisine japonaise au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, la promotion dans le monde du Cool Japan et le projet national du Kokushu lancé en 2012 pour promouvoir le saké devraient donner un nouveau coup de pouce au saké du Tôhoku au Japon, mais aussi dans le reste du monde. Trois ans après le désastre, en parcourant la côte de cette région, j’ai découvert que de nombreuses blessures laissées par le séisme et le tsunami n’avaient pas été guéries. Il n’y a toujours pas de reconstructions visibles pour l’industrie locale. A certains endroits, des ouvriers s’occupent des débris du tsunami. La plupart des gens vivent dans de petits préfabriqués loin de leur ville natale. Les plus jeunes sont partis. Seuls les plus âgés sont restés. Pour la seule ville de Kesennuma, plus de 1 400 personnes ont perdu la vie. 80 % des entreprises locales ont été endommagées et 80 % des personnes travaillant dans le secteur de la pêche ont perdu leur emploi. Malgré cette situation pour le moins désespérante, presque toutes les brasseries de la ville qui avaient été frappées par le tsunami ont repris le rythme continu du brassage de haute qualité du saké local ou jizake. Elaborée avec l’eau et le riz de la région, cette boisson rassemble les esprits de tous ceux qui ont disparu. “Aujourd’hui, les brasseries qui produisent du saké haut de gamme dans le Tôhoku pourraient bien prendre la tête de l’ensemble du secteur”, assure Satô Jun, chercheur à l’Institut de recherche sur l’économie japonaise qui s’appuie sur les statistiques gouvernementales. “En raison de la popularité de ce saké, l’avenir du Tôhoku s’annonce prometteur. Toutefois, les gens là-bas doivent reconnaître le besoin d’innovation dans le domaine du brassage”, ajoute-t-il. Depuis le 11 mars, la campagne “Buvons du saké du Tôhoku” destinée à soutenir les zones sinistrées a atteint son objectif. Avant le tsunami, l’essentiel de la production de jizake était consommée sur place. Elle l’est aujourd’hui à Tôkyô, dans les autres préfectures voire même à l’étranger. Les brasseurs de saké du Tôhoku font des tournées aux Etats-Unis, en France et dans d’autres pays pour promouvoir leur saké. Le jizake du Tôhoku incite les brasseries qui en produisent dans les autres préfectures à suivre le mouvement initié dans les régions sinistrées. Les consommateurs japonais ont découvert le goût unique de ces sakés au goût unique grâce aux brasseurs du Tôhoku et commencé à vouloir en boire davantage. Le regain de popularité du jizake redonne aussi espoir à l’ensemble de la profession qui a vu la consommation baisser peu à peu depuis le milieu des années 1970. “Actuellement à Tôkyô, au moins une centaine de nouveaux bars à saké, proposant uniquement du saké de production locale, ont vu le jour. Ils sont tenus principalement par des jeunes et 70 % de leurs clients sont des jeunes et des femmes” explique Takeharu Tomohiro, rédacteur en chef adjoint du magazine Bacchante. Elaborée avec l’eau et le riz de la région, cette boisson rassemble les esprits de tous ceux qui ont disparu. Pendant que dans la capitale, les gens prennent plaisir à découvrir le jizake, ce dernier reste pour ceux qui vivent dans les zones sinistrées, une boisson rituelle et une source de réconfort grâce à laquelle ils sont en harmonie avec la nature et l’esprit des morts. Après le 11 mars, le rôle de chaque saké local a été crucial dans la vie des personnes évacuées. Le jizake a toujours été lié à chaque étape de la vie. De la naissance à la mort, en passant par les mariages, la construction de maisons, la mise à l’eau de bateaux pour les pêcheurs. A chacun de ces moments, le saké est toujours présent. Derrière chacune des brasseries locales porteuses d’espoir, on trouve la détermination et le dévouement d’hommes sincères qui rappellent les moines ascétiques dans les monastères. Kesennuma est une célèbre cité de pêcheurs, dans la préfecture de Miyagi. Au milieu du chaos provoqué par les répliques et seulement deux jours après le tsunami, la brasserie Otokoyama, fondée en 1912, a repris la production de saké. “Les gens m’ont demandé de me remettre au boulot de sorte que l’industrie locale ne s’éteigne pas”, raconte le patron de la ...
