L'heure au Japon

Parution dans le n°20 (mai 2012)

chimpom nucleaire japon

Pour eux, l’art est le meilleur moyen pour faire prendre conscience des problèmes du Japon. Et ils ne manquent pas d’imagination. Le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine. C’est l’indifférence”. Dans un bar délabré au 3ème étage du quartier chaud de Shinjuku, rien d’étonnant à ce que Ushiro Ryûta cite Mère Teresa en introduction des Chim Pom, le collectif d’artistes le plus décalé du Japon actuel. “Nous aimons nous amuser sans penser à l’art. Mais ce qui nous semble amusant, c’est de traiter de choses sérieuses dont personne ne veut parler”, affirme le porte-parole du groupe. Au lendemain de la triple catastrophe du 11 mars, ce collectif de six artistes déjà actif depuis 2005, a décidé de se rendre à Fukushima “pour voir” la zone d’exclusion. “L’accident a été classé au niveau 7, rappelle-t-il. Il n’y avait plus personne qui vivait là-bas, pourtant des humains comme nous étaient restés dans la centrale pour travailler”. Pendant une journée mémorable qui donnera naissance à plusieurs œuvres de l’exposition Real Times montée en mai 2011, les membres de Chin Pom parviennent à pénétrer dans l’enceinte de la centrale de Fukushima Dai-ichi en tenue de décontamination et plantent en haut de l’observatoire le drapeau japonais entouré des losanges du nucléaire. “C'était comme le drapeau américain planté sur la lune. Fukushima était devenu comme ça, à la fois très proche de nous, mais aussi inaccessible que la lune”, ajoute Ushiro Ryûta. Quelques semaines plus tard, ils retournent dans la zone interdite avec des habitants de Minami Sôma, et tournent la vidéo Kiai 100 renpatsu [Unissons notre courage 100 fois de suite]. Il s’agit d’un hymne à la fois satirique et naïf dans lequel les slogans “Courage Fukushima” et “Vive le Japon” des médias furent répétés en boucle dans un port ravagé par le tsunami et la radioactivité. “Il y avait des gens qui pleuraient dans le musée. Kiai est à la fois un cri de haine et d’amour”, explique Inaoka Motomu, un des membres du collectif. Pour lui, cette vidéo exprime la complexité des sentiments de chacun à un moment où des milliers de gens étaient morts et où le gouvernement montrait ses limites à gérer la crise. “Même quand nous criions “je veux nager dans la mer” ou “la radioactivité, c'est top”, ce n’était pas vraiment sarcastique, mais plutôt un appel désespéré", confie-t-il, en parlant de la fin complètement absurde de leur film. L’exposition Real Times qui n’a duré qu’une semaine a aussi été l’occasion pour Chim Pom de présenter une de ses actions les plus controversées qui a consisté à ajouter les réacteurs en fusion de la centrale de Fukushima sur la fresque Asu no shinwa [Mythes de demain] d’Okamoto Tarô à la gare de Shibuya, laquelle appartient au patrimoine national. “Après Fukushima, il nous a semblé juste de faire cet ajout. L’œuvre d’Okamoto n’a bien sûr pas été endommagée”, rappelle Ushiro Ryûta. Asu no shinwa est une fresque de 30 mètres qui raconte les horreurs de la bombe atomique. “Mais tout le monde en a oublié le sens”, souligne-t-il. Sur la vidéo retraçant le délit, on voit la joyeuse troupe débarquer en pleine heure de pointe pour coller leur version posthume du tableau, puis la police qui intervient deux jours plus tard pour retirer ce que les médias appelleront un “graffiti”....

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