
Comment un navire de commerce japonais coulé en 1916 est venu rappeler la longue amitié entre nos deux pays. Brest est connu pour être un grand port militaire depuis le XVIIe siècle. Dans la vieille ville se trouve le cimetière de Kerfautras. Il abrite des croix blanches bien entretenues plantées au milieu d’une pelouse verdoyante. On en compte au total 1 500. La plupart d’entre elles concernent des soldats français et allemands, morts lors des deux guerres mondiales. Ils gisent ensemble comme un symbole de la réconciliation entre les deux pays après la Seconde Guerre mondiale. A proximité, on peut apercevoir cinq croix avec des noms inhabituels pour les Français : “Eizoushizima”, “Moriza Turu Kawa”, “Mochihara”, “Komatou” et “Imaid Sumi”. Sous chacun d’entre eux est également inscrit “Nagatamaru”. En effet, ces cinq personnes faisaient partie de l’équipage d’un bateau de commerce japonais, le Nagata Maru, qui a disparu en mer, près de l’île d’Ouessant en novembre 1916. Le navire a été coulé par un sous-marin allemand après un voyage de trois mois au départ de Kôbe. A cette époque, le Japon et la France étaient alliés et le Nagata Maru avait pour mission de ravitailler la France en riz. Au moment de l’attaque menée par le submersible allemand, le bâtiment prenait la direction du Havre. Deux membres d’équipage ont péri en mer tandis que 39 autres ont survécu et 9 ont été blessés. Ils ont été recueillis par un torpilleur de la marine française qui les a débarqués à Brest. A leur arrivée, tous les bateaux à quai ont mis leurs drapeaux en berne et les blessés ont été transportés dans un hôpital brestois. Ceux qui ont finalement perdu la vie ont été enterrés au cimetière de Kerfautras. Près d’un siècle plus tard, l’existence du Nagata Maru et son tragique destin ont été oubliés de tous. Ce n’est qu’en 2012 que le personnel chargé de l’entretien du cimetière a identifié les tombes japonaises. Deux ans plus tard, dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, une cérémonie s’est tenue à Brest en hommage à l’équipage du Nagata Maru. Elle a été organisée par l’association locale Aux Marins qui s’intéresse aux marins morts pour la France. “Nos deux pays ont le même respect des morts et nous avons des valeurs communes”, estime Pierre Léaustic qui la dirige. En 1900, des marins français qui participaient à la guerre contre les Boxers en Chine avaient été rapatriés et soignés à Nagasaki. Les morts avaient été enterrés dans la cité portuaire où leurs tombes sont encore entretenues par les Japonais. Parmi elles, se trouve celle de l’arrière-grand-père de Léonie Nicolas, femme de Rémy Nicolas, ancien subordonné de Pierre Léaustic. Le 16 juillet 2014, chacune des tombes au cimetière de Kerfautras était ornée d’un drapeau japonais et d’un drapeau français. Une cinquantaine de personnes était présente ainsi que deux représentants de l’ambassade du Japon qui avaient fait le déplacement. M. Léaustic avait fait le choix d’organiser la cérémonie au moment d’O-Bon, la fête des morts au Japon, et de déposer au pied de chaque croix une gerbe aux couleurs du drapeau japonais. “Dans cette terre de Bretagne, qui ressemble par certains aspects à leur terre natale, ces hommes ont trouvé le lieu de leur dernier repos. Cet hommage montre la solidité des liens entre nos deux pays et m’encourage à les renforcer”, a déclaré Saitô Jun, ministre auprès de l’ambassade du Japon en France. La cérémonie s’est ensuite poursuivie à St-Mathieu, en bord de mer, près d’un monument dédié aux marins pour rendre hommage aux deux marins disparus lors du naufrage du Nagata Maru. Après avoir observé des oiseaux de mer qui passaient à ce moment-là, M. Léaustic a expliqué que “dans la culture celte, chaque oiseau de mer porte sous ses ailes l’âme d’un marin disparu. Les âmes des marins japonais étaient certainement présentes. Cela m’a fait penser à leur avenir certainement plein de promesses”. Depuis cet endroit, on perçoit le cap d’Ouessant...
