
En avril, l’Américain Amazon va lancer son Kindle sur le marché nippon. Une perspective qui suscite l’inquiétude. Quand la flotte du commodore Perry s’est présentée, au milieu du XIXème siècle, en baie de Sagami pour exiger du Japon qu’il s’ouvre au commerce international, les Japonais ont alors parlé de l’arrivée des “bateaux noirs” (kurobune). L’expression est restée et est encore utilisée pour désigner une menace venue de l’étranger. Par menace, il faut entendre une remise en cause du train-train en vigueur dans certains secteurs économiques. Depuis l’automne 2011, elle a fait de nouveau surface après l’annonce du lancement sur le marché nippon du Kindle, tablette numérique développée par Amazon le géant américain de la disribution en ligne. Dans les jours qui ont suivi la publication du communiqué de presse, de nombreux journaux ont employé l’expression kurobune pour souligner la position de faiblesse des entreprises japonaises dans le secteur du livre électronique par rapport à Amazon dont le Kindle est désormais considéré comme une réussite aux Etats-Unis. En vérité, le Kindle était déjà disponible au Japon, mais aucun livre en langue japonaise n’était accessible. Compte tenu du verrouillage du marché de la distribution dans l’archipel, la société américaine et sa filiale au Japon n’avaient pas pu signer d’accord avec les éditeurs locaux. Annoncé pour le mois d’avril 2012, le Kindle suscite bien des interrogations, en particulier chez les distributeurs qui perdront évidemment beaucoup au change. Ils ont en tête que le terminal d’Amazon a bouleversé les habitudes de lecture des Américains. Désormais, le libraire en ligne vend plus d’ouvrages dans leur version Kindle que sous format papier. Même si les chiffres ne sont pas détaillés, pour 100 exemplaires papiers, il en écoule 105 pour sa tablette numérique. Cette évolution fait évidemment réfléchir au Japon où l’usage des produits électroniques n’effraie pas, loin de là. Il suffit d’emprunter les transports en commun pour en prendre la mesure. Il fut un temps où les voyageurs étaient plongés dans la lecture du journal, d’un magazine ou d’un livre. Désormais, les trois quarts d’entre eux ont les yeux rivés sur leur téléphone portable, échangeant des courriels, regardant la télévision ou prenant connaissance des dernières nouvelles. Lorsqu’on jette un regard indiscret vers l’écran de son voisin ou de sa voisine, on constate qu’ils lisent rarement des “livres” sur leur machine. De temps en temps, on aperçoit un jeune qui lit un manga, mais la taille de l’écran (malgré une nette amélioration) limite grandement le plaisir de la lecture. La plupart du temps, on doit se contenter de naviguer case par case, ce qui prive le lecteur de certains effets voulus par l’auteur qui à l’origine n’a pas conçu son œuvre pour être diffusée de cette manière. Il y a 3 ou 4 ans, était apparue une littérature pour téléphone portable, baptisée hâtivement par la presse Keitai shôsetsu [roman pour portable]. Des expériences menées sans grande réflexion Elle se caractérisait par une écriture simple et rythmée avec des histoires tournant autour de rapports amoureux. A quelques rares exceptions près, tous les keitai shôsetsu racontent la rencontre entre une fille et un garçon âgés de 15‑20 ans. Les personnages sont en quête de l’“amour véritable”. En ce sens, ces histoires ressemblent aux mangas et aux romans pour adolescentes de jadis. C’est peut-être la raison pour laquelle des éditeurs classiques ont choisi de les éditer sous format papier, contribuant certes à les populariser auprès d’un public plus large, mais surtout empêchant l’expérience de la lecture électronique de se développer. A quoi bon télécharger un roman même composé pour un téléphone portable quand il est disponible dans la première librairie venue. Et comme au Japon, les librairies n’ont pas encore disparu,...
