L'heure au Japon

Parution dans le n°132 (juillet 2023)

Le tome 2 de Hirayasumi est paru le 7 juin. Avec Hirayasumi, Shinzô Keigo propose une œuvre légère et profonde sur la société japonaise. Sur la quatrième de couverture du premier tome de Hirayasumi (trad. par Sylvain Chollet), la dernière production de Shinzô Keigo, son éditeur français, l’excellent Lézard noir, cite le cinéaste Kore-Eda Hiro-kazu. “Dans mon entourage, il y a plein de gens qui veulent se la couler douce comme dans Hira-yasumi, il faut que ça cesse !” peut-on lire. Même s’il s’agit d’une boutade qui souligne la popularité de ce formidable manga, cette déclaration du réalisateur d’Une Affaire de famille rappelle toutefois que nous avons affaire à une œuvre iconoclaste malgré son air tranquille. En effet, pas question ici d’imaginer une société post-apocalyptique comme dans Akira ou de se projeter dans un monde effrayant à l’image de L’Attaque des titans. L’auteur a choisi de décrire le quotidien tranquille de Hiroto, un jeune homme de 29 ans, qui vit de petits boulots, et de sa cousine Natsumi, originaire de la préfecture de Yamagata, l’une des régions les plus vieillissantes du pays et victime d’un exode rural sans précédent.Comédien raté, Hiroto a choisi d’être freeter, terme et mode de vie en vogue au début des années 1990 qui traduisait alors le désir d’une partie de la jeunesse japonaise de prendre ses distances avec la trajectoire sociale normale. Le mot-valise, créé à partir de l’adjectif anglais “free” et le mot allemand “arbeiter” qui, au Japon, désigne ceux qui font des boulots d’appoint, a cependant fini par prendre une connotation négative avec la mise en œuvre de réformes, au tournant des années 2000, favorisant la précarisation. Avec le temps, freeter a perdu sa dimension rebelle pour se transformer en un synonyme de précarité subie dont l’une des conséquences concrètes est l’effondrement de la natalité dans un pays où l’on ne fait pas d’enfants si l’on n’est pas marié. Or pour convoler en justes noces, il faut avoir un travail fixe et des perspectives d’avenir que la précarisation de l’emploi a grandement réduites (voir Zoom Japon n°89, avril 2019).Avec Hirayasumi, Shinzô Keigo renoue avec l’esprit freeter des années 1990 et prend à contre-pied la société actuelle qui vit sous une certaine anxiété entretenue par les médias, les autorités qui ne cessent de rappeler que le Japon est en crise ou vit sous la menace d’attaques étrangères. Preuve de ce sentiment d’insécurité qui s’est emparé du pays, un sondage du Yomiuri Shimbun, publié début mai, selon lequel 71 % des personnes interrogées craignent une agression chinoise, russe ou nord-coréenne. Le mangaka s’inscrit en faux contre cette morosité qu’un fameux Premier ministre français, Raymond Barre, avait désignée...

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