L'heure au Japon

Parution dans le n°68 (mars 2017)

Le bombardement atomique du 6 août 1945 reste un sujet très sensible et difficile à aborder au niveau de la culture populaire. Chaque année, la deuxième semaine d'août est l’occasion de rappeler aux Japonais les bombardements atomiques de Hiroshima (6 août) et de Nagasaki (9 août), lesquels ont finalement amené le Japon à capituler (15 août). Depuis 1945, les deux villes ont joué un rôle crucial dans la protection de l’héritage historique lié à ces événements et leurs citoyens ont soigneusement examiné - et parfois sévèrement critiqué - toute tentative de les décrire, de les rappeler, de les interpréter ou de les juger à travers le prisme de la culture pop. En octobre 2008, par exemple, le groupe artistique Chim ↑ Pom, originaire de Tôkyô s’est attiré de nombreuses critiques pour avoir affrété un petit avion qui devait tracer le terme pika dans le ciel de Hiroshima. Pika est une onomatopée qui désigne une lumière clignotante, mais dont le sens historique est lié au flash initial de la bombe A. De nombreux habitants ont immédiatement protesté contre cette initiative présentée comme une opération égocentrique n’ayant rien à voir ni avec l'art ni avec la paix. Le groupe controversé a finalement dû annuler une exposition à venir au Musée d’art contemporain de Hiroshima. Leur approche puérile et insolente de la création artistique a été la victime de la position austère et impitoyable que les survivants de la bombe atomique et les militants opposés aux armes nucléaires peuvent avoir sur le sujet. La façon de représenter ces tragédies sans précédent a toujours posé beaucoup de problèmes techniques et éthiques, en particulier aux créateurs qui n’ont pas directement été touchés par la bombe. “Bien que nous ne sachions pas quoi faire au sujet des armes nucléaires ou de la façon de vivre avec elles, nous apprenons lentement à écrire à leur sujet”, a écrit, en 1990, Martin Amis, romancier et militant antinucléaire britannique avant d’ajouter que “les questions de décorum se présentent avec une force qu'on ne trouve pas ailleurs.” Pour une raison ou pour une autre, Hiroshima a toujours attiré l'attention des romanciers, des mangaka et des producteurs de films d’animation, laissant à Nagasaki seulement les miettes du marché de la culture pop. On peut cependant citer l’exemple de Natsu no zansô: Nagasaki no hachigatsu kokonoka [Nagasaki le 9 août, une image différée de l’été, inédit en français] ou du long-métrage d’animation Nagasaki 1945 ~Angelus no Kane~ [L’angélus de Nagasaki] réalisé, en 2005, par Mushi Production. Cela dit, la première véritable réflexion sur l'apocalypse nucléaire n’avait pas Hiroshima pour sujet central. Quand Godzilla est apparu pour la première fois sur les écrans en 1954, il a été immédiatement perçu comme une métaphore de l’armement nucléaire, son arme étant son “souffle atomique”. C’est Tôkyô qui est son terrain de jeu favori, le premier film de la série (dans lequel un essai nucléaire réveille le monstre) ayant probablement été inspiré par les mésaventures de l'équipage du Daigo Fukuryû Maru, un chalutier victime d’un essai américain de la bombe à hydrogène à Bikini. Personne à l'époque n’avait fait le lien avec la tragédie de Hiroshima et ses conséquences pourtant encore visibles. Pendant les années 1950 et 1960, alors que le gouvernement et l'opinion publique tentaient d’évacuer le problème des hibakusha (les victimes des bombardements atomiques) sous le tapis, la Tôhô produisait de plus en plus de films ayant pour thème les mutations humaines comme The H-Man (1958) ou Matango (1963). Les souvenirs des bombardements atomiques de Hiroshima ont commencé à occuper le devant de la scène entre la fin des années 1960 et au milieu des années 1970. En 1966, Ibuse Masuji a publié Pluie noire [Gallimard]. Bien que le romancier n'ait pas été présent au moment du bombardement, il a utilisé les ...

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