L'heure au Japon

Parution dans le n°65 (novembre 2016)

Dernier grand maître du tatouage traditionnel, Horiyoshi III revient sur son long parcours professionnel. 9h du matin. Hanasakicho est encore endormi. La nuit, ce quartier historique du port de Yokohama est animé avec ses petits restaurants, ses vieux bars karaoké et quelques clubs de jazz, mais le samedi matin, vous ne trouverez rien d’ouvert. L’endroit est si calme que l’on peut presque entendre le bourdonnement de l’instrument à tatouage qui provient d’un appartement situé au premier étage d’un petit immeuble. A l'intérieur, Horiyoshi III est déjà en pleine action. Le vieux maître de l’irezumi - sans doute le plus célèbre tatoueur en vie du Japon - a déjà 70 ans, les cheveux blancs, et a besoin de lunettes pour faire son travail, mais il est toujours au sommet de son art. Je m’assieds à côté de lui sur le tatami alors qu'il est occupé à encrer les cerisiers en fleurs sur le dos d’un jeune client. Né en 1946 sous le nom de Nakano Yoshihito, Horiyoshi III a vécu à Yokohama depuis qu’il est devenu un apprenti à l'âge de 25 ans. “J’ai grandi dans la préfecture de Shizuoka. J’ai quitté l’école après avoir terminé mon premier cycle du secondaire. Puis j’ai commencé à travailler comme soudeur”, raconte-t-il. “Au Japon, il était presque impossible, surtout à cette époque, de voir les gens tatoués dans la rue, mais beaucoup de gars qui bossaient avec moi au chantier naval portaient des tatouages. J’ai trouvé ça extrêmement fascinant, et j’ai donc commencé à me tatouer, en utilisant des aiguilles attachées à une baguette jetable.” Les tatouages au Japon sont traditionnellement associés à la pègre. C’est après avoir vu un film de yakuza que le futur maître du tatouage a décidé de devenir un tatoueur (horishi) professionnel. “J’avais 20 ou 21 ans à l'époque et je m’intéressais de plus en plus à la culture de l’irezumi. Le personnage principal du film avait un magnifique tatouage sur le dos. C’est après avoir vu ce film que j'ai décidé de faire des tatouages pour gagner ma vie”, se souvient-il. A la fin des années 1960, le tatouage faisait partie de la culture underground et il n’était pas évident d’y trouver sa voie, mais le jeune amateur de tatouage avait entendu parler de Horiyoshi I, un maître du tatouage populaire qui travaillait à Yokohama. Il lui écrivit quelques lettres, demandant à devenir son deshi (disciple). “Il ne m’a jamais répondu alors j’ai décidé de lui rendre visite. Le sensei (maître) était déjà en train de former son fils qui deviendra par la suite Horiyoshi II. Heureusement, il a accepté de me prendre sous son aile”, poursuit le tatoueur. Le jeune deshi a quitté son emploi et a déménagé dans l'atelier de son sensei pour y travailler à plein temps. Il y dormait même après le travail. “Je me souviens encore qu’il m'a même acheté un futon neuf. J’étais vraiment ému par sa bonté. Je suis devenu un membre de sa famille. Je ne gagnais presque rien, mais sa femme cuisinait pour moi et il m’offrait des cigarettes. Je n’ai jamais eu à me soucier des choses pratiques. A mon tour, j’ai décidé de consacrer ma vie à mon maître et à sa famille. Voilà ce qu’un vrai deshi est censé faire. Vous êtes fidèle à votre sensei auquel vous devez toujours montrer votre gratitude et ne jamais trahir sa confiance en vous. Vous ne vous plaignez jamais, peu importe ce qui se passe. Je me souviens une fois - c’était un dimanche - il m’a donné un jour de congé et je suis allé au cinéma. Mais quand je suis rentré, il m’a engueulé. Où diable étais-tu ?, m’a-t-il demandé. Un client s’était présenté et j’étais introuvable. Je voulais protester, mais bien sûr, je ne l'ai pas fait. Vous ne répondez jamais à votre maître. Vous buvez seulement ses paroles et...

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