L'heure au Japon

Parution dans le n°104 (octobre 2020)

Parmi ses nombreuses contributions, le mook de la série Gokujô no bîru o nomô ! (éd. Entâburein) / DF A travers la rencontre de la journaliste Noda Ikuko avec la bière, on découvre celle des Japonais avec cette boisson. Si les Japonais sont amoureux de la bière depuis plus d’un siècle, la plupart d’entre eux n’en connaissent pas la richesse et la variété qui caractérisent son marché en dehors du dominant goût Pilsner. Pour remédier à cette lacune et éduquer le public, un groupe d’experts et d’écrivains spécialisés dans la bière a créé, en 2010, l’Association des journalistes japonais spécialisés dans la bière (JBJA). Les membres de cette organisation informelle recueillent et partagent des informations sur la bière, visitent des brasseries, couvrent les événements liés à ce breuvage et organisent des ateliers et des dégustations. Zoom Japon s’est entretenu avec la vice-présidente de la JBJA, Noda Ikuko. En plus d’enseigner à la Beer Journalist Academy, elle écrit pour plusieurs magazines, dont Beer Ôkoku [Le Royaume de la bière], et elle a édité et publié de nombreux ouvrages sur la bière.Fervente défenseur des bières artisanales, elle essaie, depuis plus de dix ans, de montrer aux Japonais qu’il existe un territoire immense et passionnant en dehors de l’étroit marché domestique de la Pilsner, et que la bière peut être dégustée de nombreuses manières. “Lorsque les Japonais pensent à la bière, surtout pendant l’été qui est chaud et humide, ils ne peuvent imaginer qu’une seule chose : boire une bière fraîche et une assiette de friture dans une brasserie en plein air”, explique-t-elle. “Mais ce n’est pas la seule option disponible. Il existe de nombreuses bières différentes et certaines peuvent et doivent être consommées à des températures plus chaudes. Il y a aussi, bien sûr, les bières aromatisées au chocolat et à la banane, et certaines sont aussi acides que le vinaigre. C’est un choc pour beaucoup de gens ici.”La vie de Noda Ikuko a été un lent voyage initiatique. Elle a elle-même vécu plusieurs expériences choquantes sur le chemin qui l’a menée à l’illumination en matière de bière. “Je me souviens clairement de ma première bière. Mon père en buvait tous les soirs. Il se mettait à boire pendant que ma mère préparait encore le dîner, avant même que notre famille de sept personnes ne se réunisse autour de la table à manger. Il buvait de la Kirin Classic Lager et jamais autre chose. Elle était toujours en bouteille, jamais en canette. Mon grand-père préférait le saké chaud, mais pour mon père, rien ne valait la bière avec des calamars salés”, confie-t-elle.“A force de vivre cette scène tous les soirs pendant de longues années, j’ai fini par me dire que ça devait être délicieux, même si je n’étais qu’une enfant. Alors, après avoir obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires, j’ai décidé d’essayer. Un soir, une de mes amies est venue chez moi. J’ai attendu que tout le monde dorme pour me faufiler dans la cuisine où j’ai pris une des bières de papa dans le frigo. Après une gorgée de ce liquide froid, mon amie et moi nous sommes regardées, les yeux grands ouverts de surprise, et nous nous sommes exclamées : “c'est bon ! (rires) J’ai adoré le goût amer de la bière. J’imagine que l’alcool était déjà dans mon ADN. Après tout, je viens de la préfecture de Yamagata [au nord-ouest de l’Archipel. Elle est célèbre pour ses sakés]. Bref, cette nuit-là, je me suis dit que j’étais devenue une adulte !”L’étape suivante dans l’éducation de Noda à la bière a été franchie grâce au manga. “Je ne peux pas expliquer pourquoi j’aime la bière sans que je mentionne BAR remon hâto [Bar Lemon Heart] de Furuya Mitsutoshi. J’ai commencé à lire ce manga au début des années 1990. C’est une bible pour tous les amoureux d’alcool. Les personnages principaux sont le barman et quelques clients réguliers, dont l’un n’a aucune connaissance en la matière. Ce manga couvre toutes sortes de boissons, bien sûr, et j’ai eu la chance d’apprendre beaucoup de choses. Dans un épisode, Matsu-chan, un des clients, boit une Timmermans au goût de cassis. C’est comme ça que j’ai découvert l’existence des bières belges. De plus, j’ai été surprise d’apprendre qu’une bière pouvait contenir des fruits. A l’époque, on ne trouvait pas vraiment ce genre de bière au Japon. Après avoir lu cet épisode, les portes de la curiosité intellectuelle se sont ouvertes devant moi”, se souvient-elle.Elle a fini par boire de la Timmermans lors d’une foire à la bière belge organisée au Printemps Ginza, un grand magasin de Tôkyô. “J'avais développé une petite obsession pour cette bière au cassis, alors j’en ai bu une dès que je l’ai aperçue. Puis j’en ai acheté une autre dont l’étiquette était décorée d’un vitrail comme motif qui m’avait plu. Puis je suis rentrée à la maison pour les déguster. Pour moi, boire de la bière en lisant quelque chose sur mon balcon est le moyen idéal de passer un bon moment”, raconte-t-elle.La deuxième bière qu’elle a achetée sur un coup de tête a été une autre révélation. “Une fois de plus, j’ai poussé un soupir de contentement, qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Elle avait un goût fruité profond, comme des figues mûres, et était un peu épicée. C'était ma première rencontre avec la Leffe Radieuse, une bière fabriquée dans un de ces monastères belges. Je ne l’avais achetée que parce qu’elle avait une jolie étiquette, mais j’ai découvert un tout autre monde : une bière épicée au goût très complexe, avec des notes d’écorce d’orange et de graines de coriandre”, ajoute-t-elle.Noda Ikuko a été tellement bouleversée par cette expérience qu’elle a décidé de visiter l’endroit où ces bières incroyables étaient fabriquées. “J’avais prévu de partir en vacances en Angleterre et en France pendant deux semaines, mais j’ai immédiatement appelé l’agence de voyage et demandé d’inclure la Belgique dans mon programme de voyage. Certaines expériences sont si puissantes qu’elles poussent les gens à changer de comportement”.Sa troisième rencontre formatrice a eu lieu avec la bière artisanale. “Je pense que ça devait être aux alentours de 1996 ou 1997. Je suis tombée sur une bouteille de bière Ginga Kôgen. ...

Réservé aux abonnés

S'identifier S'abonner

Exit mobile version