
En attendant d’être sur les nouveaux billets de 10 000 yens, l’entrepreneur japonais figure sur des boîtes de curry. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Personnage essentiel de l’histoire moderne du pays, le père du capitalisme nippon est aujourd’hui célébré. Il est fort probable que vous n’ayez jamais entendu parler de Shibusawa Eiichi. Eh bien, ne vous inquiétez pas car jusqu’à cette année, même au Japon, seules quelques personnes bien informées savaient exactement qui il était et pourquoi la Banque du Japon a décidé de mettre son effigie sur les nouveaux billets de 10 000 yens qui devraient être mis en circulation en 2024. Et pourtant, ses statues sont partout, y compris une dans un coin du quartier financier de Kabutochô à Tôkyô, une autre dans le plus grand établissement d'aide sociale du Japon et aussi sur les campus des meilleures écoles de commerce du pays. Car voyez-vous, Shibusawa est considéré comme le père du capitalisme japonais et l’homme qui, plus que quiconque, a contribué à moderniser l’économie du pays.L’une des raisons de la présence diffuse mais invisible de ce personnage dans la culture locale est que, contrairement à des magnats plus connus comme Morita Akio de Sony ou Matsushita Kônosuke de Panasonic, il n’a créé aucun zaibatsu, ces puissants conglomérats industriels et financiers, ni aucune entreprise de renommée internationale.Pourtant, entre les années 1870 et 1916, date à laquelle il a eu 76 ans et s’est retiré de la vie active, sa main était partout puisqu’il a participé à la création et à la gestion de près de quatre cents entreprises. Comme l’a souligné le consultant en gestion et auteur Peter Drucker, Shibusawa et Iwasaki Yatarô, le fondateur de Mitsubishi, sont sans doute plus importants que Rothschild, Morgan, Krupp et Rockefeller. “A eux deux, ces hommes ont fondé quelque chose comme deux tiers des entreprises japonaises dans le domaine de la fabrication et des transports. Aucun autre homme, dans aucune économie, n’a eu un impact similaire”, rappelle-t-il.Né dans une famille d’agriculteurs dans ce qui allait devenir la préfecture de Saitama, juste au nord de Tôkyô (voir pp.12-14), il a utilisé ses connaissances et ses compétences pour rejoindre d’abord la classe des samouraïs avant de devenir un fonctionnaire du gouvernement et finalement un homme d’affaires extrêmement prospère et l’un des plus gros actionnaires du Japon. Sa première action importante, alors qu’il travaillait encore pour le gouvernement, a été de jouer un rôle important dans la création, en 1873, de la First National Bank en collaboration avec le groupe Mitsui. Cette institution a été la première banque et la première société par actions à être fondée au Japon. Initialement habilitée à émettre des billets de banque, elle a été remplacée dans cette fonction par la Banque du Japon en 1883. Alors que le groupe Mitsui tentait d’acquérir un rôle dominant dans la gestion de la banque, Shibusawa Eiichi pensait qu'une telle organisation devait être financée par un grand nombre d'actionnaires et contrôlée par des mécanismes de gestion modernes. Finalement, il en est devenu le président ; la banque s’est progressivement transformée en une institution commerciale et a continué à étendre son réseau de succursales au Japon et en Corée. Elle existe toujours aujourd’hui et s’appelle désormais Mizuho Bank.En devenant banquier, il découvre qu’il n’y a pas assez d’entreprises à qui prêter de l’argent. Il se met donc à créer des sociétés les unes après les autres. Parmi elles, il crée une entreprise de fabrication de papier en 1873, puis il fonde Tokyo Gas, Tokyo Railway (qui reprend la ligne Tôkyô-Yokohama gérée par le gouvernement), une usine de briques, Tokyo Marine Insurance et, en 1881, la Japan Railway.Dès le début, il est particulièrement actif dans le domaine des transports terrestres. En voyageant en train à travers l’Europe en 1867-68, il s’était rendu compte, comme il l’a écrit dans son journal, qu’une nation “ne peut pas avancer et se développer si elle ne dispose pas de moyens...
