L'heure au Japon

Parution dans le n°42 (juillet 2014)

Défenseur du film d’observation, le documentariste a suivi une campagne électorale pas tout à fait comme les autres. Comme chaque année au printemps, Paris est le cadre du festival Cinéma du réel. Le documentariste Sôda Kazuhiro qui réside à New York est venu présenter son documentaire Senkyo 2 [Elections 2, 2013) sélectionné dans la compétition internationale. Il a accordé à Zoom Japon un entretien lors de son passage au Centre Pompidou où son film était projeté. Qu’est-ce qui vous a amené à tourner Elections 2 ? Sôda Kazuhiro :  La raison principale tient au fait que M. Yama, Yamauchi Kazuhiko que j’avais suivi dans le documentaire Senkyo [Élections, 2007] lors du scrutin municipal de Kawasaki, a décidé de se représenter. Alors que j’étais au Festival de Hong Kong, j’ai lu sur son blog qu’il avait l’intention de se présenter. Il expliquait qu’il n’avait pas envie de faire la même campagne que la dernière fois et il exprimait son opposition à l’énergie nucléaire. En lisant ceci, je me suis demandé s’il n’y avait pas matière à faire un film. Par chance, j’avais prévu de me rendre au Japon le 1er avril, date de l’ouverture de la campagne, après mon séjour hongkongais, mais mon matériel se trouvait à New York. Voilà pourquoi, je n’ai pas pu suivre la campagne dès son démarrage. Dans le Tôkyô plongé dans la pénombre en raison des économies d’énergie, j’ai rassemblé du nouveau matériel et pu rencontrer M. Yama le 3 avril. Il m’a tout de suite dit : “Cette fois, je ne ferai aucune campagne”. Il ne ferait de discours que le dernier jour de la campagne. Si j’avais été un réalisateur comme les autres, j’aurais pensé que “cela ne donnerait rien comme film” et j’aurais tout de suite arrêté les frais. Mais comme je fais ce que j’appelle des “films d’observation”, c’est-à-dire que ce qui est important dans le documentaire, ce n’est pas le sujet, mais la façon dont on le perçoit, je pense qu’il y a matière et que l’on peut faire un film intéressant à partir du moment où le réalisateur est en mesure de bien regarder et de bien écouter. Du coup, j’ai fait preuve d’obstination car j’estime que j’aurais fait preuve de faiblesse si j’avais pensé qu’il n’y avait pas de film à réaliser puisque M. Yama n’allait rien faire. (rires) Que pensez-vous de la position de M. Yama à l’égard du nucléaire ? S. K. : M. Yama a beau avoir l’expérience du politicien, c’est un homme qui n’a aucun intérêt dans la politique. J’ai donc été très surpris lorsqu’il a annoncé sa candidature et son opposition au nucléaire. Je me suis dit : Comment est-ce possible ? Lui qui n’est pas un homme de principe. J’ai donc été intéressé par son nouveau visage. Depuis l’accident de Tchernobyl, je suis moi-même favorable à une sortie du nucléaire et je suis bien sûr opposé à cette énergie, mais pour autant, je ne souhaitais pas faire ce film pour exprimer ce sentiment. Même si je partageais des points de vue avec M. Yama, je ne voulais pas faire un film pour les  imposer au spectateur. Un film décrit le monde que j’observe et comme je pense que c’est un moyen pour le partager avec les spectateurs, il ne s’agit pas d’imposer une sortie du nucléaire à des gens qui voient les choses différemment. Pour quelle raison avez-vous suivi la campagne de M. Yama à Kawasaki sans vous rendre à Fukushima ? S. K. :  À vrai dire, j’étais vraiment déchiré. À chaque fois que je rencontrais quelqu’un, on me disait : “Pourquoi ne vas-tu pas à Fukushima ?” Comme je suis quelqu’un d’un peu borné, plus ont me disait ça, moins j’avais envie de m’y rendre. En même temps, j’avais un dilemme en me demandant pourquoi j’étais à Kawasaki à filmer M. Yama “qui ne voulait rien faire”. Mais au moment du montage, j’ai été surpris de découvrir à quel point l’accident nucléaire et les inquiétudes concernant les radiations étaient bien présents sur les images. Pendant le tournage, je n’y avais guère prêté attention, mais il y avait beaucoup de gens qui portaient des masques de protection et le sujet était au cœur des conversations. De toute évidence, les radiations restaient préoccupantes. On en parlait vraiment beaucoup. Tout le monde était inquiet, mais comme il n’y avait guère d’alternative, chacun menait une vie normale. Quand on regarde le film aujourd’hui, il y a beaucoup de choses que j’ai oubliées comme si c’était arrivé il y a bien plus de trois ans. Y a-t-il des choses qui vous ont surpris pendant le tournage ? S. K. :  Il y a d’abord le fait qu’aucun candidat, en dehors de M. Yama, n’a abordé la question du nucléaire. Ce fut une surprise et je n’ai pas bien compris pourquoi. Ensuite, malgré la catastrophe et le fait que les radiations étaient deux fois supérieures à la normale, le fait de voir les gens aller au boulot ou à l’école aux heures de pointe comme si de rien n’était, ça m’a désespéré. Je voyais quelque chose d’étrange. Pourtant lorsque je filmais et que je voyais ces choses étranges, je n’arrivais pas à exprimer ce sentiment. Maintenant que j’y pense, j’ai l’impression que ces radiations venues du ciel me faisaient penser à Godzilla passant à l’attaque. Comme je vis à New York, j’avais le sentiment de me rendre sur un champ de bataille. Et pourtant, en arrivant à Kawasaki,...

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