
A l’occasion de la parution de Furari chez Casterman, le mangaka nous a accordé un entretien exclusif. Pouvez-vous revenir sur vos débuts dans le manga ? Taniguchi Jirô : C'est une longue histoire. Ce n'était pas simple de devenir mangaka. Tout a commencé quand je suis parti de chez mes parents pour trouver un travail à Kyôto. A cause de, ou grâce à ce travail qui m'ennuyait, j'ai pris conscience de mon profond désir de vivre ma passion pour le dessin. Afin de réaliser mon rêve, j'ai envoyé mes travaux à de grands magazines de manga ou à des jurys de concours. Je ne savais pas comment je pourrai suivre cette voie, mais, par chance, un ami connaissait un mangaka à Tôkyô qui cherchait un assistant. J'ai posé ma candidature qui a finalement été retenue. J'ai quitté mon travail à Kyôto au bout de 8 mois. Ce fut difficile ? T. J. : Non, c'était plutôt agréable. Le plaisir de pouvoir dessiner des mangas était plus fort que mes soucis financiers et je me sentais pleinement libre. Rien ne me paraissait dur. C'était pour moi un nouveau monde. J'étais heureux de toutes les rencontres faites chez mon maître, des discussions avec des artistes ou des visiteurs qui m'ont fait découvrir un nouveau monde. Je me suis aussi intellectuellement nourri de livres coûteux qui se trouvaient là et que je ne pouvais pas m'offrir. Au fil des années, vous avez construit votre propre style. Comment le définiriez-vous ? T. J. : J'ai toujours eu conscience d'avoir un style différent des autres mangaka. Je savais que je ne pouvais de toute façon pas dessiner comme les autres, et que je devrais dessiner autre chose. J'ai ainsi eu l'idée de créer des mangas très différents des ouvrages à succès de l'époque. J'ai voulu trouver mon style tout en éliminant des éléments typiquement manga. Contrairement à la plupart des mangas dont les expressions sont volontairement emphatiques, je m’attache à les rendre au plus près de la réalité. C'est donc en m’opposant aux mangas ordinaires que j'ai réussi à créer mon style. C'est pour cela que mes mangas sont toujours passés relativement inaperçus au Japon. Entre le moment où vous faites cette recherche et celui où vous commencez à dessiner, il se passe combien de temps environ ? T. J. : Pas mal de temps ! (rires) Un an environ, mais je m'occupais aussi d'autres projets. C'est le temps que ça m'a pris pour Au Temps de Botchan (éd. Le Seuil, 2002). Cela dit, le scénario existait déjà. En revanche, je crois avoir mis 3 ans pour Furari. Trois ans pour les recherches de documents et écrire le scénario. Mon éditeur me dit que cela a pris 5 ans... (rires). Quoiqu'il en soit, même 3 ans, c'est un peu trop long. Je suis actuellement en cours de préparation de mon prochain manga. J'ai l'intention de le terminer dans... 3 ans... (rires). Il y a une démarche assez tranquille dans votre travail qu'on retrouve d'ailleurs dans votre œuvre. T. J. : Je souhaite travailler sans avoir la pression du délai ce qui stresse souvent les mangaka. Le fait de travailler tranquillement afin d'éviter ce genre de stress se reflète peut-être dans mes mangas. Malgré mon envie de dessiner de temps en temps des mangas plus éclatants ou dynamiques, mes œuvres ont tendance à ressembler naturellement à ma façon de travailler, je crois. Je ne peux finalement pas dessiner sans avoir le temps. Je pense que le manque de temps ne permet pas de créer d'œuvre de qualité, alors je demande toujours à mon éditeur de me laisser suffisamment de temps. Côté tranquille, il y a une œuvre qui est très frappante, c'est L'homme qui marche. Dans cet ouvrage sorti à la fin des années 80 à un moment où le Japon était en pleine frénésie, n'avez-vous pas voulu dire à vos contemporains “Prenez votre temps, regardez autour de vous” ? T. J. : Tout à fait. Avant de me mettre à ce projet, mon éditeur m'avait demandé de réaliser quelque chose rappelant les films d’Ozu. Je ne savais pas comment exprimer ce côté ...
