L'heure au Japon

Parution dans le n°136 (décembre 2023 - janvier 2024)

Le zen reste aujourd’hui une pratique bien implantée au Japon que l’on retrouve dans la vie quotidienne. Le jardin Shukkei-en à Hiroshima est un lieu propice à la méditation. / Angeles Marin Cabello pour Zoom Japon Quand vous serez dans une gare de Shinkansen lors de votre prochain séjour au Japon et que le train s’arrêtera sans bruit à côté de vous, ne perdez pas de vue le contrôleur qui se trouve dans le dernier wagon. Pendant ce bref arrêt, vous le verrez effectuer une série de tâches, commentant à haute voix chacune d’entre elles et pointant du doigt divers éléments du train.Que fait-il ? On pourrait dire qu’il pratique la pleine conscience, bien que les Japonais l’appellent shisa kanko (littéralement “pointage et appel”). Il s’agit d’un exercice de prévention des erreurs que les employés des chemins de fer utilisent ici depuis plus de 100 ans. Les chefs de train pointent du doigt les éléments qu’ils doivent vérifier, puis les nomment à voix haute pendant qu’ils les vérifient, un dialogue avec eux-mêmes pour s’assurer que rien n’est oublié. Une étude menée par l’Institut japonais de recherche technique sur les chemins de fer a révélé que les travailleurs commettaient jusqu’à 85 % d’erreurs en moins lorsqu’ils utilisaient le shisa kanko.Cette forme accrue de pleine conscience est dérivée de techniques de méditation zen vieilles de plusieurs siècles. “La pleine conscience fait partie de la tradition bouddhiste depuis des siècles”, assure Kawakami Takafumi, prêtre en chef adjoint du temple zen Shunkô-in, à Kyôto.L’objectif, hier comme aujourd’hui, est de se concentrer pleinement sur ce que l’on fait dans le moment présent.Le shisa kanko n’est qu’une illustration de la manière dont le zen imprègne aujourd’hui la société japonaise à de multiples niveaux – dans le travail, l’art, le design, les manières, l’esthétique et la vie quotidienne. Comme le disent Ornella Civardi et Gavin Blair dans leur livre Japan In 100 Words (Tuttle, 2021), le zen est “la force qui a façonné la culture japonaise par-dessus toutes les autres… La discipline n’a jamais cessé d’exercer son influence subliminale sur de nombreux aspects de la culture japonaise”.En effet, malgré l’énorme transformation que la société japonaise a subie en termes d’avancées technologiques, de bien-être matériel et d’occidentalisation générale, les arts traditionnels du zen sont toujours très populaires dans l’Archipel, tandis que l’intérêt pour le zen continue de croître dans le monde entier.L’influence permanente du zen n’est nulle part plus évidente que dans la cérémonie du thé. Développée entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIe siècle, elle joue toujours un rôle important dans la société japonaise. De nombreuses écoles enseignent la cérémonie du thé en tant qu’activité extrascolaire, en particulier les écoles de filles. Néanmoins, les femmes n’ont été autorisées à participer aux cérémonies du thé qu’en 1868. “Pour les Japonais d’aujourd’hui, une certaine formation aux subtilités de la cérémonie du thé est considérée comme une bonne discipline pour polir son caractère”, écrit Liza Dalby dans son introduction à l’édition anglaise de l’ouvrage classique d’Okakura Kakuzô, Le Livre du thé (trad. par Gabriel Mourey, Symbiose, 2021).La cérémonie du thé était extrêmement populaire parmi les samouraïs. La vue sur un jardin serein, le décor épuré - juste une composition de fleurs de saison, peut-être un rouleau de calligraphie - assis sur des tatamis lisses, la cabane à thé était la zone de détente par excellence. Cette atmosphère apaisante a dû être d’un grand réconfort pour les guerriers épuisés par la bataille. Selon le japonologue Herbert Plutschow, les concepts zen d’harmonie et de respect (inhérents à la cérémonie du thé) ont même contribué à rapprocher les rivaux : “Sans le thé, la destruction de la période des Etats combattants (1467-1603) aurait pu être bien pire”.A Hiroshima, Ueda Sôko (1563-1650), un samouraï devenu maître du thé et jardinier paysagiste, a inventé un nouveau style de cérémonie du thé connu sous le nom de thé du guerrier (buke sadô). Aujourd’hui, Ueda Sôkei, grand maître de la 16e génération de l’école de cérémonie du thé Ueda Sôko Ryû, fondée par Ueda Sôko, perpétue cette tradition. L’école...

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