
Pionnier du manga en Europe, amoureux de la culture andalouse, cet éternel touche-à-tout rêve d’aider les enfants de Fukushima. S'il existe une antithèse du salaryman japonais, c'est sûrement Takemoto Motoichi. Membre de l'orchestre philharmonique de Suisse-romande, guide pour touristes japonais, professeur d'arabe, chanteur de flamenco, il a tellement de talents et d'occupations qu'il semble submergé par son propre destin. D'ailleurs, il a changé de prénom pour prendre celui d'un mousquetaire - Athos - comme pour mieux affronter la fatalité - et doit être le seul Japonais à porter le bouc sans paraître ridicule. "Je suis en train d'apprendre la cuisine japonaise et espagnole. Je vais ouvrir un lieu en Andalousie pour accueillir les enfants de Fukushima", raconte-t-il alors qu'il revient d'un entraînement d'équitation à Paris. Il n'a pas pris la peine de se changer et arpente les rues de la capitale avec son casque et ses bottes de cavalier comme si le monde lui appartenait. Portrait d'un Japonais peu ordinaire. "Je suis né à Tôkyô en 1953. Mon père travaillait comme administrateur chez Tôkyô Gas, l'équivalent de GDF. A l'époque, je voulais devenir vétérinaire, mais la fac a été fermée à cause des manifestations de l'extrême gauche. C'est alors que mon père a décidé de m'envoyer en Australie". Ce voyage est le début d'une vie très mouvementée. Mais pourquoi l'Australie ? "Je jouais dans une fanfare à la fac japonaise. Et j'ai trouvé un vinyle de brass band australien de l'armée du salut qui m'a épaté. Donc je suis parti au pays des dingos et des kangourous", explique Takemoto qui portait encore le prénom Motoichi à cette époque. Il reste trois ans à Melbourne. Puis s'embarque vers l'Europe, direction Genève. Il a rencontré un hippie australien qui lui a donné l'adresse d'une fanfare et un endroit où dormir, chez sa mère. "J’ai débarqué dans le port de Milan en passant via Le Cap après 23 jours de bateau !" Takemoto a 21 ans quand il arrive à Genève avec comme tout bagage son cor d'harmonie Yamaha. "Je me suis inscrit au conservatoire philharmonique de Suisse romande pour avoir un visa et puis j'ai commencé à travailler comme guide touristique", se souvient-il. Sur son CV de trois pages, il y a, en effet, marqué "guide free-lance de 74 à 83", activité qu'il exerce grâce au français qu'il a appris on ne sait quand, en deux temps trois mouvements, comme l'espagnol, l'anglais et l'arabe. "Comme tous les porteurs dans les hôtels en Suisse étaient espagnols, j'ai donc appris l'espagnol", explique-t-il avec le plus grand naturel. Il se trouve que plus tard Athos révélerait un don pour le chant flamenco et forgerait son identité autour d'un axe arabo-andalou-japonais. Mais pour l'heure, notre mousquetaire, qui s'ennuie peut-être de gagner autant d'argent grâce aux commissions des vendeurs de Rolex chez qui il amène les touristes japonais, décide d'endosser le costume d'éditeur. Il devient sans le savoir le pionnier du manga en Europe en créant une revue avec Rolf Kesselring, un professionnel suisse toujours à la recherche de nouveautés. Complètement inconnu au moment de sa sortie, Le Cri qui tue, dans lequel il publie des mangas en français, a fini par percer… au bout de trente ans alors que tous les exemplaires sont épuisés depuis longtemps. "C'est Rolf qui a trouvé le nom de la revue, car ça sonnait bien. On a commencé à traduire des mangas de Tatsumi Yoshihiro, Tezuka Osamu, Saitô Takao... ", se rappelle Takemoto. La maison d'édition, elle, porte le pseudonyme de notre avant-gardiste : "Atoss Takemoto éditeur". Mais faute de moyens, Le Cri qui tue cesse de paraître en 1983 après quatre années d’existence. "Mon seul regret est que je n'ai pas pu publier le dernier épisode du Système des super-oiseaux de Tezuka Osamu [Le manga sera publié ultérieurement chez Delcourt sous le titre Demain les oiseaux]. Si on avait continué, on serait millionnaires à l'heure qu'il est !" En effet, certains des auteurs qu’il a été le premier à traduire sont aujourd’hui édités par les grandes maisons d’édition françaises spécialisées. Mais Athos a tout de même réussi à faire reconnaître son génie visionnaire en...
